2012 – Entretient, propos recueillis par Léa Chavet-Lévypour Slash magasine.

Les peintures de Jérémy Liron questionnent la perception fragmentée du réel. Son exposition L’inquiétude nous replonge dans cette interrogation. Que saisit-on du monde alentour ? Rencontre avec un peintre dont la part théorique nourrit constamment l’œuvre.

– Pourquoi, très simplement, le choix des paysages?
Il s’agit de questionner notre rapport au monde, comment les choses se donnent à voir dans leur arrangement particulier, dans leur évidence mutique. Le paysage m’a retenu pour le rapport contemplatif que l’on entretient avec lui, la façon qu’il a d’étendre le temps et de retourner l’attention au dedans de soi. Le paysage est une simplicité vaste et il ne s’agit peut-être au fond de rien d’autre que de se laisser retenir par ce qui l’anime et laisse durablement en nous quelque chose comme un sentiment de présence.
– Vous écrivez : « Le monde change continuellement alors que nous le traversons, et sans forcément que l’on n’y prête attention ». Est-ce que vos images dont le mouvement semble absent ont pour fonction de créer une vision figée et statique du monde ? Comme pour capturer le réel, le mettre sur pause quelque part?
En vérité, le monde est animé de deux mouvements contraires, l’un serait plutôt de l’ordre de la permanence ou le mouvement lent de la grande temporalité, l’autre serait l’actualité mouvante, le tumulte du présent. Deux mouvements qui s’opposent sans s’exclure. Ce serait cela qu’iraient rejoindre les tableaux. Mon sentiment est que le réel se donne toujours à voir dans un mouvement d’éclipse, qu’il est toujours entrain d’apparaitre et dans le même temps toujours entrain de disparaitre derrière les images que l’on s’en fait. Paradoxalement, ce qui donne aux images leur aspect figé (mais il faut noter aussi comme une vrille dans la perspective, une forme à peine brossée peut donner l’impression de quelque chose de fuyant) c’est qu’elles ne peignent qu’un souvenir, un écho, une persistance rétinienne.
– La grande majorité de votre création s’articule autour d’éléments architecturaux, qu’est-ce que l’architecture pour vous, qu’est-ce qui se loge dans ces façades, ces immeubles?
Les architectures se dressent sur l’étendue comme un visage ou comme une peinture se dresse au mur. Elles imposent une présence brute à laquelle le regard s’affronte et butte. Si des goûts personnels m’orientent vers certaines formes architecturales, ce qui m’intéresse avant tout c’est le rapport qu’entretiennent les éléments bâtis, leur géométrie et le végétal qui les environnent. Il est question tout autant d’éléments visuels que de gestes de peinture induits.
– Bien souvent, vous offrez un premier plan de verdure ou même de triangles blancs qui semblent obstruer la vue et masquer le sujet principal du tableau. Est-ce vous pourriez l’expliquer, nous en parler ?
C’est quelque chose d’assez récent finalement, mais qui renvoie à des préoccupations que j’ai depuis le début de cette série lorsque je décidais de présenter chaque tableau derrière une vitre de Plexiglas. Si le fait de présenter les tableaux sous verre me permettait de donner une présence matérielle à l’objet tout en jouant d’une texture froide connotant le photographique, il s’agissait aussi pour moi de donner à ressentir cette impression que les choses nous apparaissent toujours à distance, comme au bout du regard et derrière ses filtres. Ces triangles blancs jouent effectivement de la même manière, semblant venir au devant de l’image, l’occultant partiellement pour la repousser encore, la brouiller de reflets. En fait, s’ils semblent s’interposer entre le paysage et celui qui le regarde, il s’agit en vérité de réserves laissant apparaitre le fond de la toile et, dans une sorte de paradoxe visuel, ce fond semble venir au devant, travaillant l’épaisseur de l’image. Et là, si je dois vous confier quelque chose de cette invention, je me suis inspiré de ma fille qui à cette époque s’amusait à recouvrir ses dessins de gommettes. Il y a aussi là dedans une part de jeu…