2018 – Les silences de la peinture, Myriam Gadenne, captation et interview par Hervé Laurent pour Radio Pluriel, avril 2018.

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Dans le cadre des cycles ‘Un été contemporain’, le Musée Paul Dini, à Villefranche sur Saône, propose pour cette année 2018 une exposition composée d’œuvres de Jacques Truphémus et Jeremy Liron, intitulée ‘Les Silences de la peinture’. La confrontation de ces peintres à la touche et aux styles bien différents fait apparaitre des points qui leur sont communs, qui donnent son titre à l’exposition : des représentations qui semblent silencieuses, par la distance et les couleurs ouatées, par l’absence de personnages ou juste la trace récente d’une présence humaine, par des parties énigmatiques dans la toile, par des formes à plusieurs interprétations possibles, par des situations d’entre deux, des mises en abyme….

Jeremy liron est un jeune peintre de 37 ans, agrégé d’arts plastiques (il enseigne par ailleurs les arts plastiques), qui a suivi un enseignement aux beaux-arts de Paris et peint des paysages urbains depuis 2004. Il insiste pour dire que ce ne sont pas uniquement des architectures, des vues d’architectures, mais bien des paysages urbains. Alors quelle est la différence ? La différence c’est qu’il s’intéresse effectivement à un bâtiment -vous verrez au départ souvent ce sont des habitats collectifs qui sont a priori sans charme et sans qualités apparentes – et lui ce qui l’intéresse c’est l’inscription de ce bâtiment dans un environnement. Ce sont donc finalement les jeux de rapports entre l’habitat et l’environnement et ce à quoi ça peut renvoyer chez nous, regardeurs. Il va vraiment essayer d’approfondir cette question des rapports construits. Lui s’évertue finalement à restituer cette présence singulière. Commençons par cette œuvre qui s’intitule Paysage 125. Que montre cette œuvre ? Un immeuble. Un immeuble sans beauté spéciale, vous en conviendrez. Avec un cadrage assez rapproché. Au premier plan vous avez un bout de rue qui est figurée par ce bandeau gris, le trottoir et cet immeuble qui a une architecture assez complexe finalement puisqu’il est composé de retraits et de saillies, d’angles, avec ce groupe d’arbustes qui est flanqué derrière une grille et parement vert. Voyez que JL, et c’est là que nous allons commencer à parler de sa démarche, très souvent il construit l’espace d’une manière spécifique et souvent il va jouer sur les points de vue singuliers. Voyez qu’ici il a choisi un cadrage rapproché. Alors ça crée une certaine sensation ce cadrage puisque non seulement on ne voit pas l’immeuble dans son intégralité mais en plus on ne voit pas le ciel. L’immeuble sature complètement l’espace de la toile si bien que l’on est un petit peu dominé par cette masse volumineuse qui en vient presque à nous écraser. Mais en plus il choisit un point de vue particulier : je ne vous montre pas l’immeuble complètement, et je ne vous le montre pas de face ou de côté, je vous montre l’arrête de l’immeuble – on est vraiment sur l’angle. Et voyez que cet angle il est divisé en deux espaces successifs si bien que le peintre nous présente cet immeuble dans ce que l’on appelle je crois la perspective oblique, mais cette perspective si vous faites attention n’est pas juste, la plupart des lignes sont tordues. Regardez par exemple le trottoir : il procède à une sorte de torsion de l’espace. Et c’est là que l’on entre dans la complexité de JL, c’est que très souvent de loin on a l’impression d’un réalisme presque objectif, alors que lorsque l’on se rapproche de près on voit que la main du peintre est toujours présente et qu’il ne cherche pas du tout à cacher qu’il s’agit de peinture. Voyez que l’on voit aussi des coulures, il n’a pas peint complètement en bas de la toile. C’est comme pour nous rappeler que l’on est là face à une image peinte et non pas devant le réel. Et cette image en plus, elle nous échappe. C’est comme si elle se dérobait en plus à notre regard, comme si elle était en train de se distordre. D’où le fait que ces lignes soient un petit peu courbes. Alors ça ne vous a peut-être pas échappé, mais ces paysages urbains sont toujours vides de toute présence humaine et cette présence singulière est notamment liée à ça puisque finalement il n’y a personne dans ces paysages et JL joue entre le contraste qui nait entre l’horizon d’attente lié à un habitat collectif (on s’attend à voir des gens aux fenêtres ou qui sortent du hall, qui circulent dans la rue) et finalement ce qu’il nous en montre c’est quelque chose de totalement vide et de désert. Et de là nait finalement une sourde inquiétude. On est posté au milieu de la rue face à cette arête d’immeuble et cette vision de l’espace qui semble se dérober sous notre regard.
Ça se confirme avec le polyptyque qui est à côté. JL d’ailleurs dans des écrits plus anciens parlait de ses tableaux :  » je voudrais que mes tableaux se réduisent à l’évidence d’un immeuble sur l’étendue « . Parce qu’effectivement nous sommes devant ce polyptyque, c’est-à-dire une œuvre composée de 6 panneaux et ce polyptyque nous montre une simple barre d’immeuble qui semble fuir vers l’arrière-plan avec une autre barre d’immeuble d’ailleurs qui fait un angle et une espèce de masse végétale qui vient obstruer la vue, très sombre. Alors ce que je ne vous ai pas dit sur JL, c’est qu’il travaille aussi beaucoup en aplats, qu’est-ce que c’est : une couche de peinture sans nuances, quasiment uniforme. Vous verrez que souvent ses ciels sont d’un bleu homogène ou qu’il va mettre comme ici des grands blocs uniformes, ce qui fait que la végétation prend un aspect presque inquiétant : elle est à la fois sombre et sans nuances. Il s’agit de regarder ce paysage avec plus d’attention et nous noterons qu’au premier plan il choisit un cadrage et un point de vue particulier. Nous ne sommes pas n’importe où, nous sommes postés sur une autoroute. Il y a un accotement, cette barre métallique qui nous indiquent que nous sommes sur une route. Et puis surtout, en haut à gauche, nous voyons un morceau qui nous interpelle qui indique que nous sommes dans une voiture. C’est l’habitacle de la portière : il a photographié cette vue d’une voiture pour ensuite la peindre. Je ne vous ai pas dit qu’il commençait par photographier ses vues urbaines, ce sont des paysages qui existent pour de vrai, mais il les peint ensuite en atelier. Nous sommes finalement dans le silence d’une voiture et nous regardons ce paysage désertique ou déserté d’une banlieue assez froide et assez grise – parce que vous noterez aussi une palette très froide : du vert foncé, du gris, du blanc avec ce polyptyque qui vient redoubler l’architecture de l’architecture urbaine qu’il nous donne à voir. Vous noterez peut-être qu’on est comme mis à distance de cet immeuble et ça c’est très important dans la démarche de JL : il y a toujours une volonté de mettre à distance le spectateur. Cette mise à distance elle commence avec ces plaques de plexiglas. Pendant très longtemps JL va systématiquement adjoindre à ses toiles une plaque de plexiglas pour maintenir une distance symbolique avec le spectateur, mais c’est là qu’il y a une ambivalence, cette plaque de plexiglas elle fait autre chose, vous l’avez peut-être remarqué, elle renvoi votre reflet. C’est-à-dire qu’à la fois il nous laisse à l’extérieur et en même temps ce reflet nous inclue dans ce paysage pourtant vide de toute présence humaine. 1ere barrière, celle symbolique du plexiglas, 2eme barrière, littérale, celle du bord de l’autoroute, 3eme barrière cette importante masse végétale qui vient encore nous repousser de l’immeuble et on pourrait encore rajouter une 4eme barrière car on a l’impression que par cet effet de perspective, l’immeuble fuie vers l’arrière. Donc finalement tout est fait pour nous maintenir à distance de ce paysage et alors on a cette espèce de dôme bleu qui nous questionne. Je vous avoue que je n’ai pas d’explication de l’artiste sur la présence de ce dôme ; je vais avancer des hypothèses. Il y a plusieurs pistes possibles : JL parfois va avoir un geste qu’il n’a pas contrôlé dans sa peinture et il ne va pas forcément l’effacer. Pour lui c’est important que les accidents apparaissent surtout quand ils peuvent faire sens. La 2eme piste possible c’est que lorsqu’il parlait de cette œuvre il disait qu’il passait tous les jours devant, (je crois que c’est sur l’autoroute vers Dardilly) devant cet immeuble qui apparaissait et qui disparaissait dans son champ de vision très rapidement vu qu’on est sur une autoroute et qu’on n’a pas le temps de s’arrêter et vous savez quand quelque chose apparait dans son champ de vision, comme une tache de couleur on n’a pas le temps vraiment de mettre des mots dessus. 3me hypothèse, c’est peut-être pour nous interpeler sur le fait qu’il s’agit bien de peinture et non pas du réel : on est bien face à une représentation et effectivement des choses vont demeurer des interrogations et des choses mystérieuses. Je vous laisse le libre soin de choisir l’interprétation qui vous convient.
Je vous propose d’aller vers des vues plus méridionales. Dans des œuvres plus récentes, JL a retiré la plaque de plexiglas qui n’est plus systématique maintenant. Mais effectivement il a commencé sa série en 2004, il travaillait sur Paris et flânait beaucoup dans les banlieues parisiennes, dans les zones périphériques, périurbaines et il est descendu (il est originaire de Marseille) à Lyon. Et vous voyez une série beaucoup plus récente qui date de 2017. Ici encore on joue sur un point de vue particulier, un cadrage assez rapproché qui donne sur ce que je pourrais appeler  » un bouquet de pins  » qui est enserré dans une sorte de terreplein avec un petit muret de pierres. Le cadrage assez rapproché, fait une fois encore que l’on ne voit pas complètement les pins, qu’on ne voit pas le ciel non plus, et surtout vous voyez un agencement assez horizontal puisque finalement les pins sont saisis dans leur horizontalité, ce qui est accentué par ce muret de pierres qui est encore allongé par l’ombre. Et horizontalité aussi de la rambarde à l’arrière-plan. Ce principe de cadrage rapproché fait que JL joue là encore de hors champ comme dans beaucoup d’œuvres. Le hors champ c’est quoi ? C’est quand on ne voit pas tout l’espace : on imagine que cette piste cyclable se poursuit jusqu’à nous et ça permet aussi de nous inclure dans le paysage. Ici pour l’anecdote, même si JL préfère ne pas dire à qui renvoient ces lieux, il ne fait que numéroter les lieux pour ne pas tomber justement dans l’anecdote, il s’agit ici d’une vue du parc de la tête d’or. Probablement vous connaissez cet endroit, vous êtes déjà sans doute allés vers le zoo. Que dire sur cette vue ? J’ai envie d’attirer votre attention sur le moment de la journée où JL a pris sa photographie. C’est un moment particulier, vous l’avez peut-être noté, nous avons des ombres très allongées et une coloration sur le sol qui tire sur le rose. On peut en déduire que nous sommes probablement en fin de journée ou en début de journée. Soit au lever soit au coucher du soleil, en tout cas un moment d’entre deux. Un moment de bascule entre deux moments possibles. L’autre point qui m’intéresse aussi ici c’est la question de l’espace. Notre regard, je ne sais pas si vous avez ressenti ça, est invité à faire le tour avec ce muret qui nous entraine par un effet de perspective à faire le tour et aller vers le fond du tableau. Sauf que, qu’y a-t-il finalement au fond du tableau ? Une végétation très dense qui obstrue toute vue possible. On est tout de suite arrêté, on ne peut pas aller plus loin et finalement le regard est contraint de faire le tour du bouquet de pins et c’est un peu comme de revenir sur nos pas. Cette œuvre nous pose la question du carrefour mais de question métaphorique, un peu comme la porte de l’atelier avec Jacques Truphémus. On est placé dans un carrefour où on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où on va. On aimerait aller plus loin mais l’espace est bouché. Ce carrefour métaphorique nous parle finalement peut-être du choix et de l’indécision. Quand on est entre deux moments, deux mouvements possibles et que l’on reste statique. Et vous voyez que ce carrefour se pose là aussi parce qu’ici encore on est placé devant un sentier qui est placé au centre de la composition mais dont les bras viennent s’effacer dans l’herbe et on a l’impression qu’il nous mène finalement dans cette mer qui est très homogène, très plate. Notez qu’il joue encore ici d’un point de vue singulier puisqu’au 1er plan nous avons ici des marches qui viennent déborder dans ce paysage que l’on pourrait croire naturel de prime abord mais qui en fait ne l’est pas du tout. On est sur un seuil. J’ai envie de dire qu’on est entre deux endroits : du fait que l’on soit dans un carrefour mais aussi sur un seuil : on va rentrer vers la maison ou au contraire partir vers la mer. Chez JL il y a très souvent aussi cette notion d’indécision et d’indétermination du regard. Indétermination qu’il pousse un petit peu à son comble avec une œuvre un peu énigmatique dont je voudrais vous dire un mot pour que vous ne passiez pas à côté. Je pense que c’est peut-être une des œuvres les plus déroutantes de JL dans cette exposition. Elle s’intitule paysage n°33 et elle a été réalisée en 2007. Et je vous ai dit que JL jouait souvent de cette indétermination du regard où effectivement il va s’intéresser à une architecture et à la présence singulière que dégage cette architecture dans l’espace. Et en l’occurrence lorsque je me suis moi-même retrouvée devant ce tableau je me suis demandé qu’est-ce que c’est ? Et le fait de ne pas réussir à mettre des mots sur ces formes crée un malaise. D’autant qu’il joue de quelque chose d’assez inhabituel : La masse la plus imposante est sur l’extérieur et elle s’évase vers la base. JL a cette autre phrase, il dit :  » l’évidence est là, dans sa claire opacité et elle inquiète quelque chose en nous, elle nous démuni « . Vous voyez qu’il joue souvent sur les oxymores, mais l’oxymore parle bien de sa peinture aussi. Il joue sur l’évidence de la forme qui se pose face à nous de manière très frontales (et vous voyez que cette frontalité elle vient écraser les reliefs, mais en même temps cette évidence qu’on ne peut pas nier, elle se dérobe à nous, elle se refuse, on n’arrive pas à mettre des mots dessus. Alors je vais lever ce malaise parce que le peintre m’a dit de quel lieu il s’était inspiré et quand on comprend effectivement cela va mieux. Il s’inspire d’un film et plus exactement d’une architecture d’une villa qui existe pour de vrai qui s’appelle la villa Malaparte à Capri, qui a été construite en 1937, donc une architecture moderne, mais qui a été rendu célèbre par Godard dans le Mépris et là vous retrouvez l’escalier montant. Et d’ailleurs le diptyque qui est derrière nous, ce toit-terrasse qui donne sur le vide, c’est le toit-terrasse où conduisent ces escaliers (on est toujours sur la villa Malaparte). Ce sont des escaliers tout simplement mais l’artiste joue bien sur cette forme de questionnement et d’interrogation où le spectateur est plongé dans le silence et confronté à cette indétermination des formes.
Alors je vais devoir me rapprocher de la fin de l’exposition et vais dire un petit mot sur les deux œuvres de JL et JT qui se trouvent côte à côte pour conclure la visite. Au passage je ne peux pas m’empêcher de dire un petit mot rapide sur ce diptyque que je trouve très intéressant. On a parlé de cette œuvre et de comment finalement elle frise l’abstraction, mais ici c’est un des œuvres que je trouve des plus épurées de JL. Elle date de 2017, donc elle a été réalisée 10 ans après le paysage que nous venons de voir, mais ici il me semble que JL met en avant le vide. Ce vide figuré par ce toit-terrasse figuré au premier plan (on ne voit pas le sol, on est posté au-dessus du vide, sur un toit-terrasse qui lui-même est très vide. Et par un effet de perspective, ce toit s’apparente fort à un plongeon et c’est un peu comme si le peintre nous poussait à sauter vers l’arrière-plan qui est la mer. Ou du moins le vide que l’on suppose au bout de ce toit-terrasse. Et toujours ce principe de grand aplat, de forte luminosité mais sans nuances. Le vide est aussi au figuré par le peu d’éléments que nous avons dans cette œuvre, le peu de végétation, et l’écart entre les deux œuvres. Vous noterez que JL laisse un bandeau noir tout autour de son paysage. C’est un petit clin d’œil : il nous dit qu’il s’inspire justement d’une vue de film. Ceci n’est pas le réel. Le tableau n’est pas une fenêtre qui ouvre sur le monde, mais il serait plutôt une pellicule et nous sommes invités à projeter nos propres interrogations, nos propres vertiges dans ce vide qui peut nous prendre.
Je vais conclure par ces œuvres qui rapprochent les deux peintres autour du blanc. Deux œuvres que je trouve absolument admirables. Nous avons vu que ce sont deux peintres qui ont des démarches très différentes, mais des œuvres qui se côtoient finalement assez bien. Alors ça va me permettre de conclure et de reprendre cette question du silence de la peinture : En quoi ces peintres créent des conditions de silence spécifiques et ces silences sont de qualités très différentes. Cette œuvre de Jacques Truphémus représente la verrière de l’atelier de Lyon avec les rideaux blancs. D’ailleurs il disait qu’il était très sensible aux différents blancs de son atelier et l’un des défis du peintre était d’arriver à restituer les différents blancs. Bonnard disait :  » on reconnait un coloriste à ses gris  » par ce le gris est une des choses les plus difficile à maitriser en peinture (pour qu’un gris ne soit pas terne ou neutre il va falloir l’habiller avec des couleurs, mettre des couleurs par-dessous). Et bien ça vaut aussi pour le blanc. On reconnait le coloriste qu’a été Jacques Truphémus par sa manière de restituer une lumière d’une infinie délicatesse et d’une infinie nuance. Cette lumière vient comme à son habitude de l’arrière-plan, ici de la verrière à l’arrière-plan, et elle va être non pas filtrée, mais décuplée par les rideaux qui évoquent la traine d’une mariée. Alors comment fait-il pour restituer cette lumière d’une grande fraicheur avec une palette très économe puisque l’on a presque 3 couleurs : le vert, le parme et le bleu ? Et bien justement d’une part il joue de la réserve de la toile, il laisse la toile à nu comme il aime le faire de plus en plus à mesure qu’il avance dans le temps, mais il va aussi créer des camaïeux de blanc en cassant ce blanc très très légèrement avec des couleurs froides, en l’occurrence le bleu et le parme. Et vous voyez qu’on est toujours sur une touche assez apparente où il gratte, il incise, où il efface aussi, retire de la matière, ce qui m’évoque presque un Giacometti apaisé. Regardez comme avec sa touche il va tourner autour de sa nature morte et rendre la vibration de l’air si palpable. Et c’est en ce sens qu’il me rappelle Giacometti, parce que Giacometti quand il faisait le portrait par exemple de Diego, ce qui l’intéressait c’était de rendre l’air ou cet espèce de vide autour de lui. On est ici dans l’ordre de l’accueil. Le silence chez JT est à l’image de cette lumière : quelque chose de très frais et de très nuancé ; un silence qui est presque à l’écoute de l’autre. Alors que chez JL, ici aussi on est dans une lumière très forte, mais qui n’a rien à voir avec la lumière où on sent presque l’air vibrer dans l’atelier. Ici c’est une lumière qui rend une chaleur accablante. Une lumière zénithale (regardez comme les ombres sont basses) qui confine à l’éblouissement. C’est là que l’on voit comme chaque peintre résout les problèmes de manière différente : on n’est pas du tout dans la nuance comme chez JT, ici JL va procéder de deux manières, d’une part il va jouer sur le contraste de clairs-obscurs (vous voyez l’arrière-plan sombre, cet arbre qui crée une ombre va porter la lumière au premier plan) mais il va jouer aussi pour la pousser à son paroxysme : la lumière ici écrase les formes, regardez comme on ne voit plus le contour de la chaise ni de distinction entre le sol et le mur. Voyez qu’il joue là encore d’un point de vue particulier : on est de nouveau placés sur un seuil, entre deux états. Les marches nous indiquent en hors champ probablement une porte, une entrée, mais devons-nous entrer, nous mettre à l’abri ou au contraire allons-nous être attirés par cette mince ouverture qui attire le regard par un effet de perspective. Donc coup on est dans l’indécision et de nouveau dans une forme d’inconfort. Ici aussi ça crée un silence mais un silence que j’ai envie de qualifier de dialectique ; c’est-à-dire que l’on est toujours dans cette forme d’inconfort, de contradiction dont finalement l’interrogation va dominer.
Deux formes, deux silences mais avec des qualités très particulières.