2018- Les Silences de la peinture – Jacques Truphémus et Jérémy Liron, Musée Paul-Dini, Villefranche-sur-Saône, par Sylvie Carlier Commissaire de l’exposition, conservateur en chef et directeur du muséein communiqué de presse, mars 2018.

Depuis la Renaissance, les artistes accordent une place centrale à la fenêtre et à la porte : simples éléments de décor et d’architecture, ils deviennent sujets à part entière.
En 2014, les peintres Jérémy Liron (né en 1980) et Jacques Truphémus (1922-2017) ont échangé sur la question de la fenêtre et de l’ouverture dedans/dehors dans la peinture1. Leurs peintures, imprégnées de silence, en appellent au mécanisme de la mémoire. La technique de la coulure constitue un aspect de leur modernité. La coulure, qui
donne la fluidité à la matière picturale, se dissocie souvent du motif d’où elle provient.
Dans Paysages n°44 et n°45 (2007) de Jérémy Liron et Sieste sous la tonnelle (2007) de Jacques Truphémus, cette trace coulée gagne une autonomie formelle occupant le champ de l’image visible. Le silence est le lieu intime d’où l’image émerge, synonyme de rêveries ou de sourdes inquiétudes. Jérémy Liron décline des architectures désertées, composées de végétation et construites à partir d’une géométrie sensible et de subtils effets de lumière et d’ombre.
Alors que cet artiste construit son espace de manière architecturée et géométrisée, Jacques Truphémus nous amène doucement par la lumière du dedans vers l’extérieur. Le temps suspendu et l’espace fragmenté composent leurs univers. Si la transcription picturale est distincte, il nous semble intéressant de les faire dialoguer.

Outre les oeuvres de la collection du musée, l’exposition valorise les oeuvres provenant des ateliers des deux artistes et de collections particulières. Elle a été conçue en collaboration avec la galerie Claude Bernard (Paris) et la galerie Isabelle Gounod (Paris).

Pérégrinations urbaines et flâneries balnéaires
Jérémy Liron peint essentiellement des paysages urbains où l’architecture lui permet de questionner notre perception de l’espace.
Entre la nature et le béton, ses espaces déserts, silencieux et intemporels évoquent le passage du temps. De Montluçon à Valenciennes, de Toulon à Hyères, du parc de la Tête d’Or à la Corse et l’Italie, l’artiste perçoit des images qu’il transcrit en peinture.
Il place certains de ses tableaux derrière un plexiglas dont le reflet fixe la présence du regardeur qui pénètre dans le paysage. Aux collectifs de banlieue se sont ajoutés des pavillons, des résidences balnéaires, quelques architectures typiques du modernisme. Il conçoit ses paysages comme une série, d’où l’attribution de numéros, qui les rendent anonymes mais universels.
Il conçoit  » Le tableau : non pas une fenêtre, mais plutôt le lieu où se projette le monde. Lieu en dehors du monde
pour une part, comme caché dans les buissons depuis la colline on voit la ville. À la fois image et mur auquel butte l’image. Et moi je voudrais arriver à ça : que ça ouvre sur un monde, un espace depuis lequel se pense le réel, et que ce soit ce mur auquel toujours on butte. À la fois fenêtre et mur, c’est peut-être la définition de l’image ? J’ai regardé les cyprès avec leur nuit au fond qui transparaît.
Chaque tableau porte en lui cette même nuit au fond. « . Les premiers tableaux témoignent de dérives dans la banlieue parisienne. Le paysage s’interrompt avant la limite du châssis comme dans Paysage n°90, vaste polyptyque de 2,46 × 3,69 mètres dans lequel la barre d’immeuble se déploie en diagonale partiellement cachée par la masse d’arbres du premier plan. La représentation ne recouvre pas totalement le support et des coulures ou des zones libres la prolongent jusqu’aux marges.
À partir des Paysages de 2007 et 2008, s’amorce une radicalisation des compositions dont le Paysage n°110 (2012) représente, au moment de sa réalisation, un aboutissement.
Paysage n°110 appartient à une série de peintures où la représentation géométrique de l’architecture se combine aux coulures de la peinture. Il adopte la vue depuis l’intérieur de la villa vers l’extérieur en divisant le paysage en six carrés identiques. Il déploie sur une large surface une vue inspirée par celle que propose la villa Noailles construite par Mallet-Stevens (Hyères), depuis le gymnase.
L’artiste considère que  » C’est un des rares tableaux de la série qui joue de cette mise en scène du regard à travers une baie vitrée, se projetant vers l’extérieur ; l’architecture forme son cadre dans lequel s’insinue un jeu de strates : les encadrements cernant chaque module créent une première fenêtre, le plexiglas contribuant à la présence physique du polyptyque dans l’espace et à la mise à distance de la peinture. Décalés par rapport aux cadres, apparaissent ensuite en contre-jour les montants de la baie vitrée qui découpent une seconde fois le paysage en ajoutant une épaisseur ou une entrave à sa réalisation. Derrière cette baie, les géométries simples d’une terrasse fermée par un muret derrière lequel émerge une masse végétale indistincte et qui bouche la vue ou s’en donne pour terme. Son tableau invite à concentrer le regard sur la masse végétale indéfinie qui se détache sur le fond de ciel bleu « .
À l’image du  » modulor  » de Le Corbusier, la peinture de Jérémy Liron est déterminée depuis plusieurs années par le choix d’un format : un module carré (de 123 × 123 cm) qui inscrit les oeuvres dans une suite. Les Paysages de Jérémy Liron jouent la distance de l’artiste et du spectateur entre architecture et paysage, entre forme et fond, absence et présence. Les vues articulent formes de la nature et dessin géométrique d’architecture.
Au sujet de cette série, Jérémy Liron précise :  » Cette série de paysages urbains est travaillée par la phénoménologie du regard, ou comment dans leur arrangement, les choses se donnent à voir, mêlant la dynamique propre de la vue et ce que celle-ci convoque de souvenirs, de références. Elle est également le lieu d’un travail sur l’image, l’espace qu’elle met en scène, entre illusion perspective et attention aux jeux plastiques, à la planéité du tableau. «