Présentation de l’éditeur L’Atelier Contemporain

Si les peintures de Jérémy Liron sont souvent imprégnées de ce silence envoûtant des choses qui nous entourent, que l’on trouve également chez Paul Cézanne ou chez Edward Hopper, le peintre, quant à lui, ne saurait se passer de mots. Inlassablement, pour mettre la pensée en mouvement, pour mieux voir, il écrit, il prend des notes, sur les artistes qui le touchent, comme Gilles Elie, Laure Tiberghien ou Marc Desgrandchamps, sur les désastres du monde, sur un pan de mur blanc aperçu de loin alors que l’on attend un train en fin d’après-midi… Après son Autoportrait en visiteur paru en 2015, Retourner le regard prolonge cette volonté de recueillir ses divers écrits, qui sont autant de « gestes de reconnaissance ».

Peintre, écrivain, lecteur, Jérémy Liron ne cesse de quitter une branche pour une autre dans la forêt du sens, sans que cela relève pour autant de la dispersion : « Une confession : je n’ai jamais fait que parcourir cavalièrement, lire de manière transversale, bref, tourner autour, Les mots et les choses de Foucault. Les raisons en sont diverses et tiennent tout autant aux exigences du livre, épais et dense, qu’aux nombreux motifs de distraction qui font de nos vies des expériences fragmentées et discontinues où l’on ne cesse de quitter une branche pour une autre. » (Gilles Elie : « Ce serait une station-service ») Cette sorte de distraction perpétuelle n’est pas nécessairement un mal ; il semble, en effet, que l’artiste invente une forme plurielle pour faire, de ces expériences fragmentées et discontinues, dans les musées, les galeries, les livres, quelque chose comme une force.
Notes éparses, toiles laissées de côté et reprises, photographies furtives, tout cela vise à « saisir » ce qui sans cesse s’en va, pour le rendre « partageable ». Jérémy Liron le dit d’une manière qui n’est elle-même pas loin d’une partance vers le poème ou la fiction : « Il m’est arrivé souvent de surprendre dans mon propre regard de ces situations qui, discrètes, ordinaires et pourtant, à mon sens, remarquables, appelaient une photographie, un tableau ou un poème – quelque chose qui les eut saisies, rendues partageables. Cette fille qui, dans le soir, attendait à un passage piéton alors que je passais en voiture, penchée sur son téléphone portable, le visage illuminé dans cette presque nuit par la clarté de l’écran et dont la posture m’avait incité à projeter sur elle ce personnage d’ouvreuse qu’on voit dans cette autre toile de Hopper, New York movie (1939). » (Est-ce qu’on fait des tableaux avec un pan de mur blanc aperçu de loin alors que l’on attend un train en fin d’après-midi sur le quai d’une gare ?)
Il ajoute, à propos de ces « gestes de reconnaissance » qui peuvent « acter ces brèves interruptions du regard » : « Sans cela je sais comme ces choses hantent, frustrent, nourrissent le réservoir à mélancolie que charge quotidiennement le simple constat que rien ne dure et nous-mêmes si peu ; que tout échappe. » Noter, dessiner, peindre, garder trace de tous ces moments où le temps est soudain suspendu, le regard interrompu, parfois par une toute petite chose, « une branche qui passe à travers une grille, l’ordonnancement d’une façade, un jeu d’échos de formes offert par une perspective », est alors une manière de conjurer la mélancolie.