écrire mal (2)

Accepter soi-même que le sens parfois échappe au creux d’une formule, d’une forme, de deux mots accolés, comme les mystères du monde. Quelque chose comme l’entrevue du sens, qui a rapport avec la pulsion scopique. Quand j’écris « le monde avance et nous disparaît en lui », je n’écris pas « et nous fait disparaître en lui » comme tout le monde le demande (immense merci cependant aux amis qui m’aident au travail de relecture, c’est dans ces questions aussi que se formulent les choix intuitifs). « Le monde avance et nous disparaît en lui ». La chose est plus abrupte, plus mystérieuse, moins dictée. Il y a quelque chose entre l’éclipse et l’absorption et qui emporte le monde lui-même à la suite de son mouvement. Je trouve ça pour m’en approcher. Et faute d’autre chose, après avoir pesé toutes les tournures et jusque dans les marges du grammaticalement correct, c’est la formulation qui convient le mieux à ce que je cherche à dire. Ça pourrait aller plus loin encore – et certains l’ont fait – et au fond je ne cherche qu’un juste milieu entre la précision inabordable et la langue courante. Pour combien est-ce entendable ? (Dois-je aussi me justifier de ne pas dire ici audible ?) Combien ne lisent-là que maladresses, négligence ? Combien n’attendent d’un texte que la clarté, l’expression parfaitement lisible d’une idée ? « L’idée est ce qui me chagrine le plus ; elle sera même détestable si, comme c’est fréquemment le cas, elle vient laborieusement se coucher sur la page, toute plate, toute transparente, toute perspicace dans l’évidence de son intérêt et la pauvreté de sa comparution. », écrit Nicolas Pesquès et j’avais noté chez Bonnefoy l’aveu d’une réserve semblable. Chaque formulation est porteuse de sens et je pense qu’il n’y a pas de façons de dire la même chose ou de véhiculer la même chose dans une forme différente, le moindre petit changement infléchissant discrètement le sens, sa façon de s’avancer, sa tenue etc. bref, l’expérience que l’on en est et qui lui est indissociable.
Quand j’écris « écrire mal », ce n’est pas « mal écrire ». Comme le demandais avec malice Lacan devant l’auditoire : « m’entend-on ? ».

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