faut dire

Faut dire, le ciel était encore plus gris que les échelles, y avait qu’à appuyer sur le bouton. (F.Bon)

Un schéma que je me fais pour moi-même, les hommes comme ça pris dans la vie, à toute chose naturellement. Et puis sans doute si l’on veut du fait aussi de la chasse, du changement d’alimentation, des nécessités stratégiques que ça induit (les premières chasses à l’épuisement etc.) et de l’accroissement cérébral que ça produit, ils lisaient probablement aux traces, empreintes du gibier, mais dans un rapport utilitaire. Alors j’imagine que c’est sur leurs propres traces qu’un jour le regard a glissé. Les sentes que ça dessine de cheminer, ou comment d’avoir mouché une torche a dessiné au noir sur la pierre une trace encore ils constataient la trace fabriquée à côté de la trace induite. Et peut-être c’était qu’à force de lire les empreintes pour la chasse, les tournures du ciel pour la pluie à venir, la montée du jour ou le retour de la nuit, de lire dans le visage, la posture de l’autre ses humeurs, son attitude à prévoir ils ont continué de lire à tout, formes animales dans les montagnes, les nuages peut-être, visage dans une pierre. Quand l’évocation n’était qu’à peine, il avait fallu, pour faire voir aux autres, pour accentuer l’effet sur soi, gratter un peu plus, appuyer. Ready made aidé on dirait avec Marcel Duchamp invitant à résumer l’art au geste de choisir, d’élire. Là, entre l’horizontalité du sol où on se couchait pour la chasse, pour la fatigue ou pour mourir et l’immensité couvrant dans laquelle passaient les points lumineux, le soleil en son cycle s’y dressant au matin, s’y enfonçant au soir, il y avait un espace où les deux pouvaient se rejoindre. Rythme lent des astres dans lequel leurs propres pulsations cardiaques s’enchâssent. Mais l’apparence là dans un caillou, le profil d’une géographie qui renvoie à autre chose que ce en quoi il s’incarne, c’est comme par la voix et le geste signifier. La chose et son effet. Seulement, là, signification qui perdure à part soi, posée au-devant dans un premier signifiant, qui s’objective. Les choses sont là à être dans leurs mouvements de choses et soi on est là parmi elles, dédoublés d’être à la fois l’objet et celui qui l’énonce. Entre les deux, la pulsation des mots comme on essaie d’accorder le regard entre le près et le loin. Il y a cette définition du silence : non pas l’absence de parole, mais ce qu’il advient quand ce qui doit être dit est exactement dit. Le silence, comme la main qui s’accorde à l’empreinte, scelle quelque chose, en finit avec le trouble. Mais comme l’on ne fait que convoquer la mémoire de ou l’apparence de, chaque fois le réel échappe. La parole y va, s’y enroule, y frotte, revient, joue de ce jeu comme on dit d’une mécanique, cet espace dans lequel la pensée s’échauffe. Et on continue de n’avoir rien scellé, d’ajuster, de redire. Perpétuelle formule de Beckett : rater, rater encore, rater mieux. On s’est pris cependant à jouer aux mots, au symbolique et dans cet exil dans le langage on a créé une nouvelle réalité, un nouveau paradigme. Cette histoire bien plus tardive du dieu créant et nommant toute chose, c’était un peu la notre, fabriquant notre première version de cette réalité augmentée que l’on poursuit, à laquelle on ajoute des couches aujourd’hui encore. On continue d’occuper cette étendue d’action, ce vide médian, cet espace entre les mots et les choses. Cet espace est la possibilité du mouvement, il met en branle la pensée. Noté dans le carnet : des balises fixes qui punaisent un espace qui parce qu’on ne peut s’étendre sur sa totalité, s’y confondre, appelle le mouvement, qu’on le parcoure fébrilement, qu’on le désire. On y fait l’expérience de l’écart, de l’énonciation dans l’écart, de la fabrication dans l’énonciation, de l’exil du monde sitôt qu’on le nomme. De cette fabrique de l’horizon. On aura souvent cette impression d’élider le monde dans le langage. Observer et noter, travailler l’observation est le projet central du poète Nicolas Pesquès qui note en introduction au second volume qu’il consacre à la face nord de Juliau, colline ardéchoise qui devient son prétexte à éprouver cette relation : « Je sais, la colline n’est pas indépendante de son observateur, ni même de son observation. Ce qui reste à lire est une aventure de corps réciproques, tangentiels et disjoints, rompus et retrouvés ».

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