Flaques, Emaz.

J’ai découvert Emaz avec Cambouis, livre de notes que François venait de publier au Seuil. C’est-à-dire à l’envers si l’on considère qu’Emaz est poète et qu’ainsi la poésie constitue le cœur de son oeuvre. Je ne sais plus comment j’en suis venu à lire Caisse Claire, anthologie de poèmes établie par François-Marie Deyrolle – que je ne connaissais pas encore – sinon sans doute pour aller voir de quoi ces notes quotidiennes sur le travail poétique, l’ordinaire, la vie étaient l’envers et comme les éclaboussures sur la table de travail. Et c’est à Armand que je dois de posséder dans ma bibliothèque De l’air et Lichen, Lichen, notes réflexives sur la poésie là encore. Je crois me souvenir que c’est en train que j’ai lu Cuisine, à cheval sur plusieurs lieux et plusieurs moments que j’ai lu Flaques. Si je fais les comptes : deux livres de poésie pour quatre sur le travail poétique. Non pas que ces proportions soient celles de l’œuvre d’Emaz elle-même (qui compte encore au moins une bonne dizaine de recueils), ceci dit néanmoins la coexistence revendiqué de ces deux pans du travail. Les notes n’ont rien d’anecdotique, quoi qu’il puisse en paraître. Si elles accompagnent – de nécessité – le travail, elles accompagnent également l’œuvre dans une continuité naturelle faite de moments de différente nature, de différente densité. Dans une forme plus libre, plus ouverte elles accompagnent les sections compactes, épurées des poèmes. Par certains aspects, on peut penser qu’elles sont une manière pour le poète de compléter ce qui s’énonce lapidaire, elliptique dans les poèmes, une façon d’estomper les éventuels malentendus en livrant le déplié de la réflexion, son contexte, les paysages dans lesquels ils sont fichés. Par d’autres, c’est aussi un travail de la forme littéraire au sens large par une alternative plus souple comme le sont le Journal ou l’Aphorisme. Les notes, dans le mouvement continu de pensée qu’elles dégagent, dans la décontraction relative dont elles témoignent, dans leur caractère buissonnant aussi bénéficient d’un certain naturel qui les inscrit dans le courant de vivre. C’est une « autre saisie, complémentaire en quelque sorte » permettant d’aborder « toutes les strates de la réalité de vivre », sans hiérarchie. « Une pensée de Pascal vaut une odeur de Javel ». Sans doute que ces notes, amassées comme « ramasse-miettes du vivant » aident à embrasser large, à ne pas faire l’impasse sur les moments pauvres. Et c’est en ceci qu’elles rejoignent le projet ou disons la volonté revendiquée d’Emaz d’inscrire la pratique littéraire, poétique dans le quotidien le plus ordinaire. L’œuvre n’est pas pour lui une forme de monument de marbre mais davantage une activité quotidienne occupée à la vie. « Ecrire un poème ou faire cuire un chou-fleur. Quelle différence dans vivre ? Certes, l’un peut rester, l’autre pas. Mais par rapport à vivre, maintenant ? » Il s’agit toujours de rejoindre – ou tenter de – quelque chose qui touche aux sentiments, aux sensations à la simplicité désarmante de vivre ce que l’on vit. « On sait qu’une vie tient à peu, mais on tient dans ce peu, entier. ».
A plonger ainsi dans ce que l’on était tenté de dire « les coulisses de l’œuvre » mais qui à y mieux regarder en sont une part constituante vient forcément le sentiment parfois de ressassement, de tourner un peu en boucle. C’est que ne s’écrit que ce que l’on peut écrire. Dans l’exercice, l’auteur mesure son domaine, tâte son espace, bute à ses obsessions, humainement, humblement. « En rester là, face au jardin maintenant noyé de nuit avec le haut cupressus qui résiste, plus noir que le ciel. La solitude n’est pas forcément exil, elle peut être règne. D’une certaine façon et pour l’instant, je règne sur ce temps, ma vie, ce lieu. Je suis là. » Présence fragile, soumise au temps, à l’inaccomplissement. « On meurt sans finir ». Et dans ce geste quotidien, cette énumération de faits simples semblable à celle d’Opalka devant ses toiles, l’œuvre prend la forme du « vieillir », à part toute théorie, depuis le corps. Expérience susceptible de lier un matériel hétérogène à l’intention d’une forme poétique, la vieillesse ou le vieillissement devient récurrente dans toute une partie de Flaques. Privilège alors que sont ces coulisses de notes où l’on peut voir venir le travail de montage où la poésie s’envisage sous sa forme négative, « non réalisée » dont le livre exprimerait la possibilité. « Le poème fait miroiter la poésie, il ne l’enclot pas ». Dans toute son œuvre, le poète s’écrit. Et à chaque ligne « quelqu’un part doucement ».

Antoine Emaz, Flaques, éditions Centrifuges, 2013. Encres de J_M Marchetti.

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