Georg Kolbe, détail.

Au départ un simple détail mal visible au premier plan d’une vue donnée pour une construction de Walter Gropius : « Model factory at the Werkbund Exhibition in Cologne, 1914 ». La photo est en noir et blanc. Je recadre par le regard. Devant le bâtiment, une fontaine ; et en son centre, quelque chose d’un corps en expression, dans un improbable équilibre, comme convulsé. Mélange de classicisme et de fantaisie. Une de ces contorsions qui font songer à ce que Rodin à réussi de mieux dans quelques ébauches modelées, quelques dessins. C’est à l’occasion de cette exposition d’architecture que Bruno Taut présenta son pavillon de verre, polygone translucide qui contribua à sa renommée. Gropius y construit donc un modèle d’usine et de bureaux à l’image de ce qu’il était en train de réaliser avec Adolf Meyer pour l’usine Fagus. Pour la fontaine, il avait fait appel au sculpteur Georg Kolbe, membre de la sécession berlinoise dont le style, effectivement influencé par Rodin mêle mythologie et expressionnisme par un recours au corps nu, « autonome ». C’est à Georg Kolbe que l’on doit encore la figure aux bras levés du pavillon Allemand de l’exposition universelle de Barcelone réalisé par Mies Van Der Rohe. Le matin. Ainsi, celle-là qui avait arrêté mon regard dans les grisailles d’une photographie d’archive de Gropius, c’était la danse, ou une danseuse. Une sorte de transe ou d’abandon, toute d’ondulations serpentines, à la fois expressive et intériorisée, au bord de l’abandon mélancolique. J’ai dérivé dans les images, découvrant des poses sentimentales, des corps déployés et clos tout à la fois, nus mais clos ou impénétrables dans leur nudité même. C’est naïveté, évidence que de s’en remettre pour toute explication au déploiement des volumes dans l’espace, aux vides et creusements de ces volumes, à comment cela semble s’équilibrer dans l’esquisse d’un mouvement chorégraphique : il s’agit de sculpture et tout l’art du sculpteur est ici convoqué. Une œuvre faite de grâce et de délicatesse mais traversée aussi tantôt par un hiératisme primitif, tantôt par l’orgueil athlétique qui fascina tant les régimes d’autorité à l’âge classique comme dans toutes les formes de propagande, soviétique ou arienne. A la jonction de l’histoire il s’est retrouvé tour à tour représentant de la sécession sous la république de Weimar, une sorte de Rodin berlinois, organisateur à la galerie Paul et Bruno Cassirer (le cousin et éditeur du philosophe Ernst Cassirer) d’une exposition sur l’expressionnisme, sympathisant à gauche à l’occasion d’un voyage en URSS, et assimilé un temps aux artistes « dégénérés ». Il finira parmi les favoris d’Hitler entant que propagandiste du Reich. L’histoire est une saloperie et on retourne aux œuvres. On ne leur trouve rien de commun aux copies serviles de carton-pâte, aucun discours, aucune idéologie, quand bien même il se coltina, sur commande sans doute, à la figure de l’athlète. Quelque chose d’un orientalisme dans le matin. Grâce, abandon, mélancolie, tristesse et folie envoutante mêlées.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


+ sept = 14