La tour St Jacques

Habitant Paris, je n’ai jamais connu la tour St Jacques que sous sa forme emballée ; tenue blanche qui la faisait ressembler un peu à une œuvre de Christo émergeant du petit parc bordant la rue de Rivoli, spectaculaire et mystérieuse, quand je ne me laissais pas aller à imaginer qu’il n’y avait peut-être rien derrière la construction de tissu ou de bâche qu’un grand vide dressé ; mystification comme ces leurres que l’on disposais jadis en temps de guerre pour tromper l’ennemi et dont j’avais vu des photographies d’archive dont on ne savait dire la gravité grise ou le ridicule enfantin. Comme, en lisant Breton, dans Nadja ou L’amour fou, j’avais vu reproduite une photographie prise il y avait bien quelques 80 années qui montrait la tour là encore emballée, j’avais formé dans mon esprit une forme de continuité perpétuant à travers les époques cette forme de lémure ou de fantaisie poétique, tantôt dramatique, tantôt facétieuse, imaginant avec des manières de Sisyphe ou de Prométhée une restauration perpétuelle qui ne devait jamais s’achever. Quelque part, il n’y avait pas tant de tour qu’une construction de l’esprit, un fantasme dressant son lieu en plein cœur de Paris. Une fantaisie. Aujourd’hui que j’écris, je suis assis sur un des bancs du square depuis lequel je peux observer à loisir les figures gothiques qui compliquent ses volumes, gargouilles ou dégueuloirs griffant en contrejour le ciel. La tour, depuis quelques années est nue. Derrière un marronnier jaunissant, je peux voir, planté dans la pelouse une forme de stèle droite qui me rappelle l’apparence sobre de la tour emballée. Est-ce que c’est elle qui rend hommage à Nerval, qui se pendît non loin de là ? D’ailleurs, au père Lachaise, sa tombe dresse une colonne simple et je crois, surmontée d’un pot, qui m’y fait aussi penser. J’allais dire un tertre surmonté d’un doigt comme j’en avais lu l’évocation chez Bataille réfléchissant au cas d’un certain Gaston F. s’étant, les yeux dans le soleil, furieusement automutilé en s’arrachant subitement un doigt. On trouve ainsi en Grèce un tombeau du Dactyle témoignant d’un antique acte de fureur nimbé de pulsion sacrificielle, Oreste devant s’y être ici mangé un doigt de la main gauche. Un homme fait des allés-retours dans l’herbe à proximité de la stèle, il se penche pour ramasser des choses dans l’herbe avec un air un peu dérangé. Un groupe de touristes espagnols passe devant moi pour regarder la tour, prend des photos. Je me demande quel type de relique de Saint Jacques y est conservé. Combien de kilomètres la séparent de Compostelle. Si la guide leur parle de Pascal, de cet industriel qui aurait racheté la tour à une époque pour y implanter une entreprise de fonderie de plombs de chasse et que ça en aurait peut-être fait enseigne ce doigt dressé comme un canon, au fabriquant de balles. En raison des étales de bouchers qui l’entouraient, l’église qui jouxtait la tour était appelée Eglise Saint Jacques la Boucherie.

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