les effigies

Dans la lointaine antiquité on en trouve témoignage mais un peu partout sous des formes apparentées, en Grèce, en Egypte, de Ninive à Mycènes et jusqu’au Mexique, des traces de pratique semblables. Et si ce n’était pas le corps du mort lui-même, son effigie alors servait aux offices et aux pompes. Les témoins, la tribu ou la caste, le village ou la ville en disaient les hauts faits, les gloires ou les outrages. L’histoire venait se dire à la place de l’être, du chef, du notable et, sous les auspices d’une image, l’enterrait en dessous du récit. Cela durait souvent des jours et devait culminer dans une image symbolique, le corps du défunt emporté ailleurs, sur un fleuve dans une barque, dans les flammes et fumées d’un bucher, dans le vol d’un oiseau de choix. Il n’était pas rare alors de convoquer toute la généalogie, les ancêtres célèbres dont ici ou là on lançait les noms, qui eux-mêmes devaient désormais signifier quelques évènements quand ce n’était pas l’inverse, les uns résumant les autres. Ailleurs on convoyait les bustes, sortis pour l’occasion de l’atrium ou de l’armoire de bois, on se passait de mains en mains les portraits. Cela peut-être s’infiltre jusqu’à notre actuel théâtre, à quelques formes d’art et plus près encore dans la télévision – accroché au-dedans du mot représentation. Il faut que l’on rejoue, que l’on se raconte, que l’on tourne l’éclipse troublante de la mort en une chose abordable qui, repassée en soi, en serait la version distanciée, l’interprétation (interpréter n’est-ce pas toujours mettre à distance ?). Des témoignages historiques font état d’un évêque disposé sur son trône, maintenu droit sous l’effet de la raideur cadavérique, comme s’il devait officier. Ailleurs il est dit que lors d’une longue cérémonie le diner fut servi au corps fictif de Charles IX selon ses habitudes et ses désirs et dont le visage de cire avait été coloré et coiffé de vrai cheveux « au plus vif que faire se peult ». Et donc se mêlent le récit en sa récapitulation et l’infantile « faire comme de si ».
Ici et là l’image joue à la place du réel et ce n’est déjà plus qu’une présence racontée, une présentification.
« Ce n’est pas à moi de savoir l’origine des armoiries, animaux, plantes, objets, mais je sens que les seigneurs qui étaient d’abord des chefs militaires disparurent sous l’écu qui était un signe, un symbole. L’élite qu’ils formaient fut tout à coup projetée dans une région abstraite, contre un ciel abstrait où elle s’écrivait. » (J. Genet)
Figures de bois, portraits de cire, vêtus pour imiter l’apparence de la vie lorsque le travail du pollinctor, du peintre ou du kêroplasês, du thanatopracteur ne suffisent pas, tiennent le rôle lors de processions, sur un trône ou sur un catafalque. Certaines galeries alignent ainsi des images debout ou en situation comme des poupées de personnages illustres paraissant tout autant morts que vifs.

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