Lettre à A.D.

Ce tableau avec morceau d’architecture rouge qui toi te donnait l’impression de tenir, je te disais chercher à lui donner davantage de présence ou de volume. Qu’il me semblait encore un peu terne. Je l’ai raccroché au mur aujourd’hui voir si je pouvais l’avancer. Je me rends compte que rien ne se distingue vraiment, c’est un peu atone, un peu plat. Il y a cette zone basse pâlie qui vient en retrait, demande au regard de s’habituer comme quand on passe de la lumière à l’ombre. Zone sourde, du moins grande plage calme. J’aimerais assez la garder, pour l’instant. Ce qui reste en partie haute est trop d’un bloc, j’ai besoin de renforcer le rouge pour que ça fasse sujet, que ça vienne en premier dans l’œil. Lui donner un peu plus de volume. Là par-dessus, la branche esquissée en gris vert olive parait presque creuser de ses découpes mates. C’est plus manifeste encore quand je rehausse le rouge. Elle vient du fond, comme une réserve. Les deux masses végétales à droite et à gauche me posent plus de problèmes. Je ne sais pas comment les faire exister, sous quel mode. J’étais parti au départ à gauche sur un jeu de touches presque impressionnistes ou Nabis, un peu Vuillard avec des jeux de rouge garance dans le vert mais je n’y crois plus. A droite, un geste répétitif pour esquisser une masse de longues feuilles, mais c’est un peu monotone et gauche. Le coin droit en haut est sans caractère, ennuyeux, c’est du faute de mieux, ça ne sert à rien, donc c’est en trop. En gros je me trouve là avec ma maison rouge au centre et ces deux masses latérales un peu moles, sans caractère. Il ne faut pas qu’elles viennent concurrencer l’architecture, ça l’éteindrait et deviendrait trop bavard, confus, polyphonique. Je voudrais des masses franches comme chez Cézanne, avec du caractère, sans préciosité. En même temps, je ne peux pas envisager un traitement sommaire et clair, comme j’ai pu le faire une fois dans le paysage 102 où ça marchait bien, ça atténuerait le contraste avec la partie basse. Je veux en rester avec le moins de pôles possible, atteindre la simplicité et l’évidence de celui dont tu disais qu’il avait un grand souffle ou qu’il était comme une respiration. Sachant qu’ici, sans ciel, dans une composition ramassée, ça ne va pas être simple. Je ne peux pas jouer de couleurs excentriques comme chez Bonnard, des roses violacés qui jouent avec un orange doré ou un bleu d’eau claire que pourtant j’adore, parce que ça jurerait avec le rouge qui doit rester seul à jouer son rôle. Bonnard joue d’un vaste champ animé, un panorama, une tapisserie, ici moi je suis dans un travail de ruptures et de volumes. Ces deux masses, il faudrait qu’elles ne soit ni trop présentes, ni trop en retrait, c’est ça mon problème. Et si possible, d’une simplicité vigoureuse. Il faut que je parvienne à trouver un geste, une harmonie de couleurs qui ne soient ni trop démonstratifs, ni insignifiants. J’ai essayé d’insinuer dans les ombres un bleu gris foncé, pétrole qui rabat un peu les zones confuses mais j’ai l’impression que ça pourrait partir complètement ailleurs dans un jeu de surfaces vigoureuses. Un truc école de Paris du milieu du siècle. Faut faire gaffe à ne pas se laisser attirer par des trucs qu’on connaît et dans lesquels faute de mieux on pourrait être tenté de se rassurer. Qui feraient vaguement office de modèle. Le truc c’est ça : ce que je cherche, je dois l’inventer en le cherchant. Parfois j’ai des images, c’est comme des directions, dire que ça serait un peu dans ce sens là, mais en général, il faut que je provoque en tâtonnant. Après, quelque chose qui s’esquisse, une possibilité. Naturellement, chaque geste rejoue tout. Et comme on se disait, il y a l’inconstance du regard. Mentalement on fait pencher dans un sens ou dans l’autre, on voit autrement, les options changent ou on perd le fil comme quant on est interrompu au milieu d’une pensée. J’en reste là pour aujourd’hui, ça s’enlise et la lumière devient mauvaise.
A bientôt.

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