lettre à Anne H.

Cette impression parfois des bâtiments dérivants immobiles dans le regard ou dans ce que l’on retourne en soi du monde qui est l’espace de notre propre présence. Figures concrètes passives et indifférentes ancrées sur l’étendue. Le temps et l’espace semblent circuler autour, y frotter sans atteindre. Il y a cette très belle vidéo de Jean-Gabriel Périot, 200 000 fantômes : montages d’archives photographiques restituant comment un bâtiment, la palais d’exposition industrielle à Hiroshima à traversé l’histoire depuis son édification en 1915 jusqu’à aujourd’hui ou sa silhouette ruinée fait figure de mémorial. Cette permanence comme point d’ancrage du paysage, point de pivot depuis lequel se construit l’espace de la ville et de la mémoire.
Il m’a toujours semblé que la ville dans ses masses immobiles rejoignait le socle stable du monde, du moins ce qui, répondant à un mouvement plus lent échappe au mouvement apparent pour rejoindre l’impassibilité de la grande temporalité. Nous nous agitons par-devant. Et les photographies anciennes avec leur temps de prise de vue nous restituent à notre réalité de fantômes, de silhouettes fugitives, passagères, révélant à l’arrière plan les volumes de la ville en témoins. Géométrie sarcophage. Même ruinés, émoussés par le temps, rendus à l’horizontalité du sol, les bâtiments tiennent la place matérielle de l’ombre qui nous accompagne. Il y a ce jeune homme accoudé à une des piles de l’ouvrage auquel il contribue. Sourire et fierté d’homme oeuvrant à plus grand que lui, plus solide, l’édification de la volonté humaine dont chaque grand ouvrage en est un édifice et à laquelle il se sent participer. Sait-il tout intimement qu’il sourit à l’ombre de sa tombe ? Que dans ce tressage de temps la ville travaille une ultime vanité ? Le sarcophage, littéralement, c’est cette boite qui mange les chairs, le lieu vide qui témoigne par l’absence de l’existence et de l’effacement des êtres, passagers provisoires d’un monde.

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