quête des origines

J’ai en ce moment, et je l’ai déjà eu cet après-midi, un grand besoin d’extirper mon anxiété en la décrivant entièrement, et, de même qu’elle vient des profondeurs de mon être, de la faire passer dans la profondeur du papier ou de la décrire de telle sorte que ce que j’aurais écrit pût être entièrement compris dans mes limites. Ce n’est pas un besoin artistique.


Kafka

J’écris pour lutter contre le dégoût de ne pas savoir, j’écris pour tourner la loi du silence qui doit suivre, j’écris pour connaître avant terme la saveur du mot fin.

Antoine Volodine

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On est toujours à se demander le sens de ce que l’on fait, ce que ça dit, d’où ça vient, à quoi ça mène. On se surprend à la tâche, comme émergeant d’une nuit d’inconscience dont il faut tenter à chaque fois d’esquisser rétrospectivement le récit. On n’en sort jamais. On répète. On retombe par hasard ou nécessité sur ce que l’on avait oublié et que l’on redécouvre. On reprend. On tente de cerner mieux.

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Il y a l’étendue horizontale que l’on chemine, les reliefs et les plis dans leurs jeux scopiques qui appellent au déplacement par l’alliance de la nécessité et du désir. Il y a l’étendue inatteignable du ciel et ses animations ressassées qui invitent à la lecture, à la projection mentale, structurant l’espace et le temps. Et d’être jeté là sans savoir.
Qu’est-ce qui a fait qu’une première fois se manifeste le besoin vital de faire état de cette situation ? Qu’est-ce qui a fait la différence avec les autres façons des autres vivants pour que l’aventure prenne cette tournure et se perpétue irrésolument jusqu’ici ; jusqu’à soi?
L’image, le mot, l’expression au sens large, fut-elle sommaire, fruste, a-t-elle jailli de la nécessité de calmer une sorte d’anxiété ? Ou bien, à l’inverse, le monde a-t-il commencé de se donner au-devant de nous dans son étendue vertigineuse depuis sa possibilité éclose en nous ? Est-ce d’un mouvement volontaire, fut-il tâtonnant ? Ou au hasard de jeux, de la disponibilité acquise de certaines parties du corps, de conformations biomorphiques propices comme l’a avancé, en 379, Grégoire de Nysse, écrivant avec élégance : « Ainsi c’est grâce à cette organisation que l’esprit, comme un musicien, produit en nous le langage et que nous devenons capables de parler. Ce privilège, jamais sans doute nous ne l’aurions, si nos lèvres devaient assurer, pour les besoins du corps, la charge pesante et pénible de la nourriture. Mais les mains ont pris sur elles cette charge et ont libéré la bouche pour le service de la parole. » ?
Est-ce par réaction, adaptation à ce qui était donné ? Du fait d’une pulsion interne, d’une nécessité intuitive qui épouse la dynamique de l’évolution et que l’on peut imaginer comme un désir qu’à l’être de se rejoindre dans sa volonté de puissance, dans ce qu’il projette ? Un peu des deux, l’expression manifestant la coïncidence du désir et de l’adaptation ?
On ne saurait pas conclure, alors on rêve. On dessine deux courants : d’un côté l’expression génère du monde, la trace invente le signe, le mouvement débouche sur de l’inattendu. D’un autre, elle cherche à atteindre le monde, à épouser sa manifestation. Ce sont deux choses différentes que de chercher à faire un poème et de réfléchir en usant de l’outil poétique. En vérité, souvent, les choses sont mal dissociables ou basculent l’une sur l’autre. Images, langages, on se fabrique des outils de compréhension afin de cerner notre rapport au monde, de figurer la situation en élaborant une expression qui lui serait adéquate. Mais l’expression apparaît comme un artefact, modifiant par les moyens mis en jeu l’objet même de sa visée. L’exprimant, nous faisons du réel une réalité. Tentant d’objectiver les choses, le langage s’invite comme objet nouveau du monde. Ainsi révélé, l’artefact s’impose comme création et l’expression relance son mouvement. Elle devient son propre objet en se pensant elle-même. Ce pourrait-être la naissance du style. Ce mouvement hystérise alors le réel qui devient le milieu dans lequel s’engendre la pensée par l’expression et l’expression par la pensée, chacune nécessité de l’autre.
Il se pourrait que ce que l’on nomme art ne soit que la forme digressive des pensées que l’on dirige maladroitement vers les choses (une fois encore, je me suis retrouvé à écrire autre chose que ce que je pensais chercher à écrire).

 

Image : Ernesto Sartori.

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