pris dans la toile

Il n’y a jamais plus de cinq intermédiaires entre une personne et une autre.
Variante : on serait tous à cinq contacts du président.  Et ce qui me marque souvent c’est en effet ce jeu d’interconnexions qui nous fait dire que, décidément, le monde est petit ou que le milieu de l’art, de la littérature est un petit cercle dans lequel finalement tout le monde se connaît. Il est toujours curieux de constater que dans notre isolement, notre peu de penchant pour le jeu social des vernissages et soirées culturelles on est finalement moins seul qu’il n’y parait. Un calcul scientifique expliquerait ça très simplement sans doute et l’équation nous paraitrait évidente : admettons que si chacun connaît mille personnes qui connaissent mille personnes…  on a vite fait d’atteindre la population nationale. Etudiant c’était pour moi me retrouver dans ce vertige de références en appelant d’autres en cascades, chaque livre suggérant la lecture d’un autre pour se dire pleinement. Je découvrais mon ignorance, l’ampleur de l’étendue. Et bien sûr on n’en sort pas. C’est comme ça qu’on découvre les classiques, les passages obligés, ces œuvres sur lesquelles s’appuient tant de choses : noms, titres que l’on recroise
souvent. Ces livres pour comprendre, ces images pour regarder autrement. Constat que j’ai peut-être en partage avec Florence Trocmé comme elle le confessait récemment : C’est peut-être Pierre Bergounioux qui nous aura incité à pousser la curiosité vers toute sorte de livres dans cet appétit de comprendre. Une part de l’éclairage nous viendra de ces chantiers auxquels d’autres avant nous se sont collés, c’est autant de temps gagné. Florence Trocmé, c’est poezibao, site de référence en matière de veille sur ce qui se fait en poésie. Un de ces liens que j’ai de longue date alors que je débutais de m’investir moi même sur le web par un blog. Lien trouvé chez François Bon via son TiersLivre très probablement. Tous ces sites et blogs sont des ilots que l’on localise sur sa propre carte et dont on connaît les chemins pour s’y rendre à l’occasion comme on sort des routes principales parfois pour se poser
un peu sur un talus en contre-bas. Poezibao, j’y allais de temps en temps de mon propre chef ou à l’invitation d’un ami qui vous indiquait un lien. Quelques livres de Philippe Blanchon y avaient trouvé écho. Là que je sortais avec Armand Dupuy un petit livre mêlant images, texte théorique et poèmes j’avais eu l’idée de lui envoyer, comme ça, fraternellement, dans une envie de partage qu’on a quand on pense que notre interlocuteur comprendra ce qu’on lui confie. Surprise quand même que le livre lui parle et aussi cet autre glissé dans l’enveloppe pour qu’elle y revienne dans ses notes. Oui, j’aurais pu m’amuser que ce second livre ait été accompagné d’une postface de Philippe Blanchon. La coïncidence la plus drôle est qu’elle ait lu le livre en même temps que le troisième Carnet de notes de Pierre Bergounioux pour qu’elle puisse nous accoler en deux phrases. J’avais moi aussi acheté ce dernier tome de son journal qui avait la particularité sur les deux précédents d’évoquer la période ou je l’avais moi même rencontré lors du séminaire littérature qu’il tenait aux Beaux arts. Relation timide avec l’homme : je ne m’étais entretenu avec lui qu’à l’occasion des cours, bien furtivement et lui avait écrit par la suite deux ou trois fois avec scrupule, ne voulant pas lui manger ce temps précieux dont il manquait déjà. Relation plus soutenue avec l’œuvre, achetant depuis,
avec une fidélité exemplaire chacun de ses livres. La semaine précédente, nous venions d’officialiser la sortie du petit livre que nous avions fait ensemble à l’occasion d’une lecture publique qu’il devait donner en duo avec Fanny Gondran. Je m’étais retrouvé à partager une pizza dans un petit restaurant de quartier avec eux et quelques autres amis de la partie, ne connaissant qu’Armand mais découvrant là encore plein de points communs. Moi qui avait entendu dans la lecture quelques échos discrets à Ponge ou à Réda, ce dont elle s’étonnait. Elle : long parcours de poète débuté alors que je n’étais pas même né, moi :artiste peintre sortant d’une journée de cours, la trentaine mais en paraissant souvent un peu moins, jamais croisé dans le milieu. Je ne sais plus comment on en est arrivés à parler de Bergounioux avec lequel elle correspond régulièrement. Et d’autres lectures communes. Moi voisine venait de tourner un film avec et sur Bernard Noël. Moi : très frappé par les livres de Bernard Nöel, imaginant en secret une collaboration sur un petit livre comme un rêve. Ses éclats magnifiques sur l’image, le regard. J’ai un recueil de ses poèmes préfacé par François Bon. Armand m’a dit avoir un projet d’édition avec lui. Imaginez qu’en fan de Dylan une connaissance en vienne à vous dire qu’elle fait une soirée demain chez elle et qu’il passera. Hier je passe voir Cyrille Noirjean à l’URDLA, centre de l’estampe à Villeurbanne, n’ayant pas eu l’occasion depuis longtemps. J’en profite pour lui laisser des bouquins. Il m’apprend qu’il a eu écho de cette soirée lecture avec Armand et Fanny, son mari à elle est secrétaire de l’URDLA, bref nous sommes tous les deux aux au CA. Au passage : c’est dans un catalogue coédité par l’URDLA qu’était paru pour la première fois ce texte que j’ai envoyé à Poezibao. Ce soir je lisais sur tablette le dernier livre numérique d’Antoine Emaz (nous l’avions évoqué je crois autour de la pizza). Livre édité par Publie.net, maison d’édition fondée par François Bon à qui je dois d’avoir édité mon premier livre avant qu’il ne m’invite à codiriger avec Arnaud Maïsetti une collection. On retrouvera également chez publie.net plusieurs livres d’Armand Dupuy que j’ai sans doute rencontré par cet intermédiaire. Emaz découvert aussi grâce à François Bon, comme de nombreux autres contemporains. Mais n’avais-je pas découvert François Bon par Pierre Bergounioux ? Bref, Cuisine d’Emaz dans les mains je tombe au détour d’une page sur le nom de Florence Trocmé, le poète évoquant un échange. Je venais de voir sur ma boite mail un mail de Florence qui me parlait du livre envoyé. Curieux cet effet : quand les livres, dans leur distance d’objets clos (Emaz dit :  » un livre c’est de l’inachevé fermé « .) vous renvoient au plus immédiat de vous même, comme s’ils s’écrivaient dans le même instant du même endroit. J’en étais là à sourire de ces coïncidences lorsque deux pages plus loin, Emaz évoque Emmanuel Laugier pour un de ses derniers livres. Là encore nom croisé récemment par plusieurs fois : d’abord Philippe Blanchon me disant qu’il lui avait parlé de moi après visite de m’on expo à Toulon (Philippe avait écrit dans le catalogue), si je pouvais lui faire parvenir un ou deux catalogues. Puis bref échange. Peu après, article d’Emmanuel Laugier sur une anthologie de poésie publiée par un ami, Dimitri Vazemski. Nous avons publié plusieurs livres ensemble, un en préparation, un avec Armand Dupuy déjà, un autre avec Arnaud Maïsetti, rencontré via François Bon encore. J’avais accueilli un livre de Dimitri chez Publie.net et c’était en sa compagnie que j’avais lu à la Maison rouge à Paris le premier chapitre de ce livre envoyé à Florence Trocmé en même temps que celui d’Armand. On pourrait en rire. Un drôle de rire si on pense à Bourdieu (lu à l’incitation de Bergounioux) et aux déterminismes qui régissent tous nos rapports sociaux. Ces coïncidences amusantes cachant sans doute des équations bien mathématiques. Et je n’ai parlé ici que de mes activités « d’écrivain », n’ai pas non plus creusé les tunnels certainement plus nombreux encore qui nous unissent les uns aux autres.

1 Commentaire

  1. dim vazemsky

    Le monde est petit… … pour ceux qui y vivent…