tournures et style et obscurités

S’il faut parler de style ou de manière peut-être dans les façons de tourner les phrases, c’est parce que s’y manifeste une certaine expérience. L’esthétique vient après et jamais seule. Il y a ce que j’ai déjà dit à plusieurs reprises : la volonté de conserver le mouvement – tortueux parfois – de la pensée qui se fait et se tourne dans la phrase. Y compris hésitations, impasses, reformulations. Une certaine phénoménologie de l’écriture. Il y a aussi la volonté de conserver ce qui accroche contre la fluidité du rythme régulier, des harmonies sonores, assonances, allitérations. Que la lecture ne soit pas un glissement superficiel, une coulée qui porte jusqu’au terme du texte – ce charme que je trouve et admire dans son travail, son effet chez quelqu’un comme Pierre Michon – mais l’expérience de l’hésitation, du doute, de la buttée, de l’impur. A l’image d’un certain métissage, d’une certaine indétermination. Une langue convulsive et de ruptures et d’oscillations. Il en résulte que ça ne glisse pas, que l’on bute à une bizarrerie de tournure, obligé de relire, de peser le sens, de le chercher, de déchiffrer parfois. C’est chez moi une raison pour refermer un livre que de naviguer dans des formules, du sens entendu, convenu. Je me méfie pour moi même des expressions courantes, de leur économie de la pensée, de ce qui est entendu. Manière aussi de se fabriquer sa langue, par emprunts parfois, là où on se reconnaît, et par acceptation et revendication même de certaines libertés grammaticales. Ce « est une chose éminemment postmoderne… » d’un certain prof italien et qu’est-ce que ça induit dans l’expérience de lecture que d’éluder le sujet pour un attaque sur le verbe. Certaines phrases de François Bon avec libertés semblable vis à vis de nos grammaires de collège : « une phrase est composée d’un sujet, d’un verbe et d’un complément ». Longtemps été sous le charme de la rhétorique d’André breton, ses affirmations par double négation « on ne peut pas ne pas dire que », mais surtout la manière qu’il peut avoir de se saisir d’une formule courante en la retournant pour lui restituer sa saveur première. Ou encore, chez Dubuffet, certains archaïsmes et bizarreries : son « au lieu que » qu’il m’est arrivé d’emprunter. C’est tout ça que je mêle avec parfois quelques raffinements, des apostrophes en cascade comme parfois illisibles chez Proust, des choses plantées au clou, comme chez Bergounioux parfois la phrase s’arrête brusquement après une série de compléments pour synthétiser une conséquence abrupte, parfois un peu cavalière.
Pas rare quand je confie un texte à la relecture pour publication que l’on m’envoie des suggestions pour lisser un peu mes phrases, rétablir une certaine normalité. « Je l’écrirais, je le dirais plutôt comme ça ». Les usages que je fais de tournures actives, parce que plus juste pour moi de dire de l’arbre qu’il « pousse ses feuilles » plutôt que convenir des feuilles qui poussent sur l’arbre. Parfois je cède. Mais souvent, s’il semble que l’idée reste la même et se lise plus simplement, j’ai le sentiment de perdre quelque chose. L’ombre de laquelle les mots émergent, dont ils sont alors trop nettoyés. Que se perd la charge poétique. La vérité. Ce n’est plus tout à fait ça.

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