Variations de Jan

Variations. C’est-à-dire ?

Mouvements autour d’une ligne, suite de ces possibilités qui pétalent autour d’un motif ou d’un thème en autant de distorsions ou ramifications ? Que manifestent-ils dans leur écart, dérive ou dérivés ?

On sait chez les musiciens cet exercice qui est comme de se laisser prendre à une phrase, un motif ou quelque chose de plus vague encore et de le faire rêver comme la main parfois tourne un objet au fond d’une poche, le tâte, en prend la mesure, s’en rend familier par une sorte de savoir artisanal. Une manière d’exploration déplanifiée où le hasard et l’improvisation marquent la disponibilité de celui qui se prête au jeu.

Les peintres aussi produisent des tableaux que l’on range parfois parmi les séries et qui, comme autant d’études, essaient des accords, des écarts, tâtent leurs possibilités pour diffracter ou déployer en autant de variations ou de versions un scénario premier, une intuition ou un motif.

Chez les écrivains on pensera davantage, à l’exemple de Francis Ponge, à des états témoignant du travail d’écriture et du palimpseste des épreuves que la publication généralement efface ou à laquelle elle met un terme. Sinon à l’exercice de style comme le pratiqua en oulipien Raymond Queneau.

Dans le dernier livre de Philippe Blanchon, Variations de Jan, ce pourraient être autant de journées ou de moments, autant d’inflexions, autant de tableaux intimes ou de paysages, non pas dans l’acception occidentale d’une fenêtre découpant l’étendue mais dans la sensibilité asiatique aux accords, aux rapports qui mettent les choses en écho. On pense alors à la façon de Monet menant de front « plusieurs toiles par soleil ». Il y a quelque chose d’impressionniste dans la façon du poète de combiner l’évanescent, l’impalpable de la teneur d’un instant, de relations, d’emmêlements de ce que l’on nomme petite et grande histoire et l’extrême précision de certains détails. Aucun événements tonitruant n’écrase les mobilités subtiles, le sentiment d’étirement du temps, presque d’hystérisation, qui donne aux scènes que l’on devine ou entrevoit un relief et une lumière tout particuliers à la fois mélancoliques et électrisés qui n’est pas sans évoquer le sentiment d’angoisse que le cinéaste Antonioni instille dans certains plans pourtant baignés d’une lumière méditerranéenne. La guerre est un ombre qui se glisse entre les cœurs et saccage. Peu de choses sont dites.

 

Ce qui rend la poésie de Philippe Blanchon difficile de prime abord, hermétique parfois dans le jeu crypté des références, ce sont ses hors champs, ses ellipses, les brisures et singularités de syntaxe. Il faut relire, se laisse imprégner : c’est signe d’un territoire singulier. Cette façon par exemple de planter le décor si l’on peut dire par une phrase dépourvue de sujet et de verbe, comme tombée dans l’œil : « A travers les pins depuis la gare laissant les murs et le goudron. » Son langage en ses phrasés déstabilise, il ouvre le sens dans l’incertitude, l’équivoque. Et ce faisant, il introduit à une perception renouvelée aux perspectives multipliées. C’est aussi le mouvement des variations : comme un mouvement de houle. Sa manière a quelque chose de l’ordre du montage, intercalant différents plans de caméra, saisissant quelques bribes de dialogues, regards, gestes tandis que le film, scrutant, jouant de contrepoints, de contrechamps, de panoramas, de coupes, mises en perspective et autres éléments libres de grammaire sinue en sa pensée. Ce qui a lieu nous l’apprendrons par bribes, incidemment, comme en passant au bord et à l’image de la mer qui perce à travers les pins, derrière une habitation. C’est une perception mobile. Et le paysage encore une fois c’est tout à la fois l’éclat reçu dans l’œil, la basse continue des vagues lourdes, les troncs noirs, le temps sec et frais, comment tout cela s’invite dans les tableaux, les dessins, les poèmes, les modulations des états intérieurs. Il ne s’agit ni de manier des images, ni de théoriser, mais chose plus rare, avec pudeur et sans caricature, donner le sentiment des choses, de l’impalpable, des mouvements de vie, amour, amitié, saveur d’instants paisibles dans le contraste de ce qui en éloigne, et vague mélancolie dans le souvenir. « La ville a fui, glissé sous leurs pieds. (…) Après avoir marqué les saisons, Jacques aujourd’hui les confond ? Partant de l’une, l’autre résonne. » L’histoire se referme, parenthèse, ou boucle.

 

Philippe Blanchon, Variations de Jan, éditions La barque, 2018.

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