2015 – Autoportrait en visiteur, par Laurent Perez in ArtPress septembre/octobre 2015

Quand « les arts visuels sont devenus davantage affaire de posture » et que l’art s’épuise en « fabrique de dispositifs », pratiquer la peinture figurative suppose une conscience quasi anthropologique du rapport au visible. Comme l’observe Pierre Bergounioux dans sa préface, la démarche de Jérémy Liron s’inscrit dans la temporalité longue de l’histoire des formes depuis les tout premiers gestes « artistiques » des hommes préhistoriques. La publication, surprenante et courageuse, des écrits sur l’art de ce jeune peintre (né en 1980) prend ainsi valeur de manifeste. Ses « notes d’atelier », mêlées aux brefs textes critiques consacrés à d’autres artistes, n’éclairent pas seulement sa propre oeuvre, qui présente, de façon très frontale, des paysages architecturaux contemporains ; elles s’efforcent de rendre compte de la présence au monde du peintre dans sa singularité.
« La figuration, en tant que telle, n’est pas un enjeu. » Face à la prolifération d’images de plus en plus médiocres, l’effort du peintre vise à ranimer l’aura de l’objet – celui-ci fût-il l’image photographique à l’origine de son travail – afin de restituer au visible sa capacité de susciter le désir. Cette ambition, ce regard au risque du réel, sont la chance de la peinture. « Chaque tableau est la tentative de faire un tableau, sans vraiment savoir comment on va s’y prendre. » Pourtant, ses textes très cadrés, froids, dont le sujet s’avance régulièrement et sans effet vers le lecteur, rappellent curieusement sa peinture. La langue, pour peu qu’elle « consente à adopter les façons de la peinture », qu’elle s’affranchisse de sa dimension utilitaire, est en effet le lieu possible d’un retournement du regard – dont Autoportrait en visiteur est à la fois l’exigeant programme et la démonstration.