Retourner voir, par Anne Favier, livret de l’exposition à H2M, Bourg en Bresse, novembre 2022.

À une certaine distance, cet ensemble de cadres est rythmé de petites ouvertures vert profond. Une vision rapprochée nous amène à entrevoir les images qu’elles recèlent de manière souterraine. Ces iconographies évoquent des volumes, des sculptures, des monuments, des reliefs de terre ou des vestiges de pierre d’époques lointaines semble-t-il (un bas-relief gréco-romain, une lamentation baroque, un Mandylion…), qui se lisent aussi au présent, comme les cavités laissées après la destruction en 2001 du site archéologique des Bouddhas de Bamiyân en Afghanistan. Ce travail en marge de l’œuvre picturale de Jérémy Liron a débuté en 2015, en réaction à des événements sidérants : les attentats en France et à Tunis, les exactions de Boko-haram, la destruction de la cité antique de Palmyre… Ces secousses contemporaines ont fait remonter d’autres images et ont suscité la nécessité de sonder les archives de notre humanité, d’en glaner les visages rescapés, d’en reconvoquer les traces : « remonter le temps [… et] fouiller le visible », note l’artiste. Les images relevées sont issues de sources hétérogènes ; décontextualisées, elles reviennent de loin, « comme une armée de fantômes » dont notre présent serait hanté. Pour Jérémy Liron, elles constituent de manière éclatée la généalogie de notre monde en ruines. Chaque fragment iconographique de cette collection infinie est tout d’abord recadré, puis redessiné à la pierre noire, avant d’être finalement recouvert d’un badigeon de peinture à l’huile vert sombre. Les Archives du désastre est une vaste investigation graphique in progress qui compte aujourd’hui environ 400 pièces. Les dessins voilées d’un écran coloré – comme une résine – sont maintenus entre deux eaux, au seuil de toute visibilité. En écho au processus photographique, ils sont en instance de révélation. Ils affleurent à peine, et suscitent ainsi le désir de voir en profondeur ce qui ne se présente ici que dérobé. Il nous appartient alors de prospecter dans ces ténèbres et d’y déployer notre regard afin de saisir les volumes dessinés qui, petit à petit, selon le processus d’accommodation visuelle, transparaissent plus distinctement. L’archive graphique mise en sourdine se dévoile fragile, suspendue entre apparition et disparition. Elle rappelle le processus inconscient de la mémoire – aussi bien collective qu’individuelle –, enfouie dans des lointains, réminiscente, revenante, réactivée au présent.