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La majeure partie de son temps à inventer par petites parcelles les souvenirs exacts de ce qui ne cesse de continuellement nous échapper

(…) Si les motifs de ses toiles sont aisés à reconnaître et à nommer, la représentation est plus d’indication que d’imitation – d’indication qui peuvent s’en tenir au sommaire et au brutal.
Or il se trouve, sans que cela puisse passer pour une coïncidence, que les motifs de ces paysages se caractérisent par une dureté égale – dureté qui est, à nouveau encore, question de séparation. Liron, vite regardé, peut passer pour un peintre d’architectures contemporaines. D’architectures sans qualités particulières : à l’exception de la Cité radieuse, les bâtiments qui l’ont retenus jusqu’ici relèvent au mieux du tout venant du logement en série en béton, du siège social banalement néo-moderne en aluminium et verre fumé ou du préfabriqué posé sur sa dalle coulée en une journée. Dès lors, il se pourrait que sa préférence pour de tels édifices médiocres ne soit qu’une concession au sociologisme actuel, si tyrannique qu’il n’y a plus guère de jeune photographe qui ne se croit obligé de s’en aller du côté des grands ensembles, des « quartiers sensibles » et banlieues désolantes des métropoles – sociologisme et misérabilisme pour tirages couleurs. Une deuxième explication se fonderait sur les conditions de vie de l’artiste : pour se rendre à son atelier, il lui faut traverser en voiture l’une de ces zones autour de Lyon où les supermarchés, les entrepôts, les usines, les barres, les espaces supposés verts, les terrains vagues et des lambeaux de terres agricoles encore cultivés se juxtaposent dans un désordre qu’aucun urbaniste n’a tenté de rendre acceptable – les urbanistes préfèrent intervenir dans les centres historiques, où leurs traces se voient mieux et suscitent des débats. Cet itinéraire pourrait l’avoir inspiré – si ce n’est qu’il travaille ainsi depuis plusieurs années et qu’il serait sans doute plus juste de supposer qu’il s’est décidé pour cet endroit parce qu’il s’accorde à ce qu’il peint – pas des architectures seulement, mais leur rapport avec les lieux.
A mieux y regarder en effet , Liron ne peint pas des immeubles, des tours ou des villas : il peint des constructions dans les champs, des villas entre des arbres et des rochers, une usine dans un pré. Il peint leur intrusion. Il peint l’irruption de leurs volumes anguleux et de leurs murs droits dans ce qui était, auparavant, il y a plus ou moins longtemps, un bois ou une vallée. Des barrières et des grillages découpent l’espace et quelques indices permettent d’imaginer encore à demi ce qui était là, autrefois, avant ces découpages, avant ces séparations. Des plans de béton blanchi ou de brique rouge tombent comme des lames. Des lignes sombres coupent à travers de la toile. Les terrasses écornent le ciel. Les fondations scient la terre. (…)

Philippe Dagen (extrait du catalogue)