« C’est effrayant la vie. »
Cézanne
« de raison valable. Un jour
les méduses à leur tour ont trouvé que leur forme
convenait aux circonstances. »
Stéphane Bouquet
C’est l’expression naissante qui tâte son empire, timidement ou fébrile de sentir ce qui s’ouvre à elle. On lui reconnaît les gestes des tout jeunes enfants, leur ambition maladroite, leur curiosité. Leur avidité gourmande parfois. Et celui des fourmis qui explorent une contrée, d’une guêpe qui se grise d’une table d’été. Cette façon qu’ont les petites chenilles vertes d’arpenter le visage d’une feuille, les escargots d’humer l’humidité de l’air, et qui fait penser à l’éclosion lente et délicate des fleurs. C’est le dessin brillant de la bave sur une dalle de pierre humide de rosée. L’éclair qui marbre le ciel chaque fois différemment un soir lourd d’été. Gracile et tonitruant. Une décharge qui fait penser aux attaques hésitantes, aux intimidations plutôt des animaux que l’on confronte. Avertissements, formes chorégraphiques, martiales, du crabe ouvrant ses pinces avec un pas de côté. C’est le déploiement du lichen à la surface des roches ou celle du mycélium sous l’humus. Celui des branches, des feuilles dans leur photophilie. C’est la liane ou la vigne qui se hissent aveuglement dans un rayon de lumière. C’est la fringale tatillonne et lambineuse du moustique cherchant la veine et tournant comme un derviche. La mouche qui signe son désarroi sur la vitre de la cuisine. Et l’esquisse du canevas de l’araignée qui quadrature ses hypothèses dans le tridimensionnel. Tout comme le blaze du vandale qui sigle les murs du dépôt de la SNCF, les portes et les rideaux baissés, les piles du pont, l’épaisseur du tablier, et les cheminées le long de ses insomnies, avec les monte-en-l’air. Et toute ressemblance n’est pas fortuite avec cette façon qu’a le chef d’orchestre amateur de baratter l’air du bout de sa baguette comme d’autre font avec des formules au-dessus d’un chaudron. On croirait y reconnaitre la confiance que les méduses font aux courants. Et les éructations d’un ivrogne. Ou de rire édenté d’un fou. Le corps tout cassé d’un infirme. Le mimétisme que les mains font dans la prière ou l’ennui, ou la timidité avec le tronc noueux des oliviers, avec les racines. On peut y entrevoir le dessin invisible des constellations que le cancre ou le rêveur trace au ciel de la classe dans les heures lentes de sa scolarité. Ou celui plus enjoué que fait la queue du chien auquel on ouvre la porte. Le tracé laissé dans la poussière sur le parquet par un pas de danse inopiné. Le phylactère incrusté dans le bitume d’un débris quelconque forcé d’abandonner tout relief. L’impression d’un froissage. Ce serait aussi bien la naissance de l’art, le murmure devenu trace, la visage ou l’allégorie du papillonnage, du batifolage, des enfantillages. Ce qui s’esquisse dans l’air au moment des pâmoisons. L’étonnement premier. La joie du rêveur. Le relevé cartographique des déplacements quotidiens que nous faisons dans notre quartier, dans notre appartement, dans notre boîte crânienne. Le remuement gratuit, inconséquent, de quelque chose en soi qu’on appellerait licence, liberté, jeu. Ce serait une de ces peintures que Vincent Hawkins trouve chaque jour au bout de son pinceau, toute faite ou presque.
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