2011 – Lettre ouverte, par Claire in forum bleu poésie.

Hier je suis allée à une expo, à Toulon, de Jérémy Liron. C’est quelqu’un qui peint des bâtiments et ce qui les entoure, à partir de photos qu’il prend. Le ciel est toujours d’un bleu clair au dessus.
Il y a des immeubles crades de banlieue, des immeubles célèbres comme « la maison du fada » de Le Corbusier, des maisons blanches noyées dans les pins, des murs sans autre qualité que d’avoir arrêté son regard.
Au début, rien ne vous frappe vraiment, palette très cohérente de verts, noirs, bruns, gris, bleu ciel et blanc. Et puis si on prend un peu de temps, l’émotion vient, ce mélange de mystère et de remontée indistincte du passé, la beauté dans les signes, la forme, la présence de ce qui n’existait pas avant.

Il y a aussi une vidéo avec une très longue interview improvisée, un dialogue entre lui et l’organisateur de l’expo, et c’est d’une richesse et d’une telle absence de prétention que j’ai eu l’impression de prendre une grande leçon d’art.
Ce qu’il dit, c’est qu’il faut faire quelque chose qui tienne dans le regard. Parfois il faut du temps, reprendre le tableau longtemps après, parfois on le détruit. Il y a les tableaux qui vous enseignent des gestes graphiques, souvent différents selon les espaces du tableau, il y a ceux qui ne prennent leur force que par hasard. Il y a la réalité du bâtiment et de la végétation autour, souvent découverts dans le mouvement d’un trajet, immobilisés par la photo, et puis la lumière, et ce qu’il va modifier en peignant, ajoutant ou retranchant des détails, faussant la perspective pour introduire un doute, changeant d’heure du jour.
Il y a des restes d’un tableau recouvert qui gardent leur place dans le tableau nouveau et qu’on laissera. Il y a les moments où le tableau s’engage presque dans l’abstrait, par l’épure.
Il y a tous les maîtres, les références qu’il porte en lui, et ce à quoi il a tourné le dos (le conceptuel au profit du formel). Il dit la contemplation qui s’impose à vous, et que c’est toujours soi qu’on contemple, et cette sorte de vitre qui fait toujours écran entre soi et la réalité, qu’on doit peindre aussi.

Il a refusé de se cantonner à une peinture « sociale », des immeubles pauvres qu’il peignait quand il vivait à Paris (souvent découverts depuis le RER) et qui aurait pu devenir un fond de commerce. Tout comme les belles maisons d’architectes nimbées de rêve et de végétation à la Cézanne. Tout cela, ces arrière-plans sociologiques, humains, ce n’est pas son propos. Il peint des formes, des lumières, des couleurs, le plan du tableau.
Tout en l’écoutant, je pensais que l’émotion que j’avais ressentie en regardant ses oeuvres tenait à quelque chose que je ne pouvais pas dire en mots, sinon par un poème, mais qu’elle avait un rapport avec le plus profond de la mémoire des lieux.

Après, ce qui m’a surprise, c’est que les références qui semblent être pour lui essentielles (l’abstraction lyrique, l’expressionnismes) sont aussi celles qui me touchent le plus, et que je ne les voyais pas du tout dans sa peinture, superficiellement. Et puis j’ai découvert en fouillant que François Bon (qui est l’écrivain qui m’a le plus fait réfléchir dernièrement) à écrit à propos de ce jeune peintre. Bref, des liens dont le sens n’est pas à priori évident mais qui sont présents.