Cabane d’hiver, Fred Griot

 

Si l’écriture comme forme objectivée de pensée est un écart de la vie courante, une mise de côté, un exil ou une absence comme l’aura écrit Georges Sand, que pourra rencontrer celui qui écrit dans le retrait d’une cabane isolée, d’une saison isolée qui en redoublent le lieu singulier? Sans doute un peu de calme, d’isolement nécessaire, une pièce à soi comme réclame Virginia Woolf pour parvenir à s’extraire un moment du tumulte du monde et noter alors l’écho distinct de ce qu’il laisse en soi.
Invité à séjourner un moi en yourte en Aveyron, sans doute Fred Griot n’y envisageait-il que d’y trouver le calme et la solitude nécessaire à retoucher, peaufiner un ou deux textes dans leur isolement, « écouter, méditer, marcher… ».
Progressivement, c’est autre chose qui réclame et un journal s’écrit, au fil des jours pour témoigner de l’expérience : le bois à couper pour le poêle, la yourte à colmater, s’installer, organiser le quotidien, écouter. Rien de grandiloquent ou d’héroïque, Fred Griot nous a habitué à une écriture du peu, « basale », simple. Cet environnement sommaire, rude quelque peu s’impose comme un lieu de décantation où, sans se couper radicalement des autres ou de la modernité à la manière d’une ascèse ou décroissance absolue (il a sous la yourte l’ordinateur avec musique et films et même à l’occasion un faible débit de connexion Internet), il goûte « ce qui est essentiel, nécessaire : les gestes simples, les proches, l’attention à eux, dehors, écrire… ». Pas de grandes révélations, de nouveautés absolues « mais je suis venu ici pour le silence, pour écouter, pour écrire au calme, et je suis à peu près servi…/ pour tenter d’éclaircir, de simplifier une parole », se dit-il.
Réduire les agitations vaines pour écouter surtout, réapprendre ça, l’écoute. Laisser un peu le travail d’écriture emporté pour ne plus qu’accompagner cette écoute et les quelques impressions et réflexions qui la bordent comme font les archéologues, explorateurs botanistes en prélevant en même temps que le sujet un peu de l’environnement dont il est, le milieu auquel il est apparié. « j’écoute encore un peu./ça rentre tout dedans./arrêter d’écrire. ». Dans cet apaisement alors il lui semble retrouver, non sans plaisir, « le passif des gestes des générations qui ont vécu dehors », un rapport au monde plus évident et ancien, et dans le silence, quelque chose comme le souffle de « la grande temporalité » qu’a exprimé Hegel.

Tout voyage, nous a enseigné Homère, est une boucle qui ne fait que revenir à soi après en avoir fait en quelque sorte l’épreuve. De Partir à Rentrer, les cinq chapitres qui structurent le livre témoignent de ce mouvement circulaire que dessine la parenthèse, ponctué de moments, comme autant de stations depuis l’établissement du lieu (Cabane d’hiver ) au point de bascule entre les habitudes prises et le terme qui se laisse entrevoir (Le cap)en passant par le cœur de l’expérience (L’écoute). Mais, incidemment, quelque chose s’est déplacé doucement, une position, un projet se sont affirmés plus clairement, non pas un « virage violent », mais « une bascule calme », c’est cela aussi sans doute qu’il s’agissait ici de venir écouter.

 

Fred Griot, cabane d’hiver, édition ERR / la revue des ressources.

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