Clignotant

En gare. Que cache-t-il à l’heure du départ ?
Une belle éveillée, lui tout endormi de la veille ?
Une belle endormie quand il veille tenant son siège ?
Marchepieds, attention. Léger bagage, par chance.
Fenêtres closes, prudence. Besoin d’un point de fuite.

Philippe Blanchon

Peut-être faut-il s’imaginer clignotant, des yeux, des oreilles, de corps, d’attention… Traversant la vie ou étant, sinon traversé, du moins éveillé par elle, en pointillés, et selon un rythme variable. Les gestes, les mouvements, les absences, les sollicitations du dedans et du dehors donnent à la conscience des occasions intermittentes de saisies et de retournements (ici l’image de quelqu’un prenant une photographie, l’œil dans le viseur, puis se dégageant de l’appareil pour considérer l’image faite, sur l’écran de contrôle), laissant échapper le plus gros à la faveur de détails, pris dans une suite discontinue, des flashs, des apparitions. Une succession de plans brefs comme ceux que donne à voir un diaporama ; bordés de nuit.
Notre imaginaire cinématographique tient à ce genre de choses, qui en préfigurent la grammaire : La séquence d’un mouvement, le détail d’une main posée sur un tissus (le bombé d’une cuisse ?), un fragment de fenêtre, le reflet sur une bordure, un liseré de métal, de l’indéterminé, un sourire ou une nuque dégagée par des cheveux coiffés haut, une douleur dans le bas du dos qui impose des étirements, puis une odeur qui éclipse le reste, dix occasions de se fixer et de se détourner.
L’œil lui-même ne fait que butiner, sautant d’un relief du visible à un autre, métaphorisant notre attention qui se révèle n’être qu’un contact irrégulier, lacunaire, à partir duquel l’imagination fait son miel, brode.
Vient l’image de la mer, hachée par les arbres, les immeubles, les panneaux, à travers la fenêtre du train lorsqu’on la longe. Des vues comme des indices. La vie, une alternance continue d’épiphanies et de deuils, des choses entrevues, « entrepensées », s’évanouissant en un éparpillement de traces, d’échos, d’impressions aussi passagères que ces empreintes qui marquent la peau après un appui prolongé, flous transitoires dues à la géométrie de l’espace et aux lenteurs de l’accommodation visuelle et mentale. Saveurs et odeurs fugaces, fugitives, mots sur le bout de la langue.
Écrire est une manière de sortir de l’abrutissement, de la confusion perceptive qui mêle et confond souvenirs, sensations, chevauchée libre de l’imagination, fourmillement. Ou de lui répondre, tenter de la traduire sans le trahir. D’en témoigner.

Août 22.

Image : Bernard Plossu.

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