Constellations

L’existence à un caractère étendu. Chaque vie à sa durée, l’espace et le temps leur géographie. Les formes se chevauchent, s’emboitent, s’interpénètrent, se combinent parfois et puis se succèdent quand une manière de rythme les détache. Ce sont la subjectivité et les jeux du hasard qui lèvent des figures, hérissent des reliefs, fondent des lieux comme autant de points disséminés, autant de traces. Nos propres mouvements, parcours et dérives, obsessions, nécessités aux arguments divers y dessinent des liens, une heuristique, des constellations. C’est le visage occasionnel que nous fait la vie, notre géométrie. Comme le regard lui-même a ses lacunes et points de focalisation ou d’insistance.
Il y a la définition du dictionnaire : « Une constellation est un ensemble d’étoiles dont les projections sur la voûte céleste sont suffisamment proches pour qu’une civilisation les relie par des lignes imaginaires pour créer une forme quelconque. » C’est le propre des cartographies que de lier en des images pratiques la raison scientifique ou la rationalisation et l’imaginaire ou le rêve. Ce serait le commun de cartes, des classifications, des tableaux, derrière leur scientificité que d’ouvrir une trappe aux élans des rêves. Il y a toujours dans la volonté de fixer, dans le désir de saisir quelque chose de dérisoire. « La chouette bête des bois sombres M’a appris Que la vérité n’est plus la vérité Sans ses voiles Qu’il ne faut pas écouter la mélodie de la vie muette Sans savoir l’entendre Que la solitude modifie toutes les voix », écrit Joyce Mansour. Il faudrait dire que les sciences cherchent à défaut de la vérité, quelque chose qui a à voir avec elle ; Qui entre en intelligence avec. Dans tout l’utilitaire que la raison produit il y a une part dont elle ne sait que faire. Un artiste arrive et photographie une turbine pour sa forme, il en fait son horizon esthétique. Le chef de la production ne comprend rien à cet illuminé, il en rigole avec le magasinier. L’ingénieur à un doute qui teinte tout au fond de sa raison parce qu’il a sans le savoir aimé sa création.
Ce que l’on détache et cerne en l’objectivant advient comme réalité nouvelle. Ainsi des étoiles ou des sommets. Des figures collées sur le blanc des pages de livres scolaires ou flottant abstraitement dans nos représentations mentales. Autant de pendants au collier de nos histoires, de nos mythes. Car un mythe n’est peut-être rien d’autre que cela : une organisation par le discours de ces quelques points émergeants.

Image : Anselm Kiefer.
Lecture : Constellations, d’Alexandre Mare, édition Hippocampe.

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