note d’atelier

A chaque tableau il me semble que je dois réapprendre à peindre. Et je bricole sans méthode, ne sachant pas si ce que je fais, si les moyens mêmes sont appropriés à ce que j’entreprends de tirer au clair et qui d’ailleurs se déplace souvent en cours de route. J’essaie, je vois, j’ajuste. Sans doute apparaît dans l’épaisseur de la toile à la fin un peu de ces mouvements-paniques par lesquels celui qui ne sait pas nager s’est escrimé à se maintenir à la surface.
Ce serait ça la distinction d’avec l’artisanat : se maintenir à côté du savoir-faire rodé, au bord du métier, dans cette précarité, cette fragilité. Parce qu’il n’est à chaque fois pas seulement question d’un tableau mais de soi-même. C’est soi qu’il s’agit d’éprouver.
Je ne sais pas si ça m’est tout à fait naturel ou si une part de moi veille à ce qu’il en soit ainsi, à ce que chaque tableau ne soit pas formellement différent mais différent dans le sens que tout s’y rejoue à chaque fois comme une première fois, dans le même péril à gâcher. Que ce ne soit pas progression lente et droite mais chaos, reprises, rebours, changement de plan. Je me suis demandé une fois ce que ça pourrait donner d’aborder l’architecture de la même façon, outre de multiplier follement les coûts.
Je suis loin d’Apelle, virtuose de son art et habile fendeur de lignes ou Zeuxis dont on dit que les fruits qu’il peignait trompaient les oiseaux. J’avance toujours la main avec gaucherie, maladresse, sans doute parce que je suis toujours à m’y remettre, à récupérer, réapprendre. Si je peignais tous les jours, sans interruptions, sans doute en serait-il autrement. Encore que je ne cherche absolument pas le geste parfait et pur, l’effet délicat ou appliqué. C’est autre chose d’un peu plus rustre qui m’anime, plus primitif.
Tous les accidents, toutes les approximations, surfaces qui se joignent à peu près, lignes qui s’infléchissent, coulures, toutes les aspérités de l’image contribuent à ces mouvements dont on ne sait jamais bien s’ils s’originent dans la vue, le regard que l’on déplace ou dans les rapports internes de la peinture. Le tableau semble à chaque instant se construire et se déconstruire en un seul mouvement. Chaque détail, trace, bizarrerie qui relève du peint relance l’interprétation, si on veut bien entendre le terme au-delà de sa pauvreté habituelle, l’élaboration par laquelle le tableau se fait en soi. Rien de normal sur toute la surface, rien que des accidents, des aventures qui tentent d’équilibrer quelque chose qui les rassemble et les dépasse, les réalise et qui est le tableau. Avec mes manière d’aller à l’envers, recouvrir et faire remonter, recouvrir à nouveau, tordre, je construis le tableau en détruisant l’image.

3 Commentaires

  1. Sylvie Mir

    bonjour Jeremy
    j’ai découvert votre blog en passant par Fréderic Kodja
    beau travail, merci de ce blog

    ce que vous écrivez sur l’acte de peindre me correspond assez
    je me permets de vous envoyer de l’info sur mon exposition de juin à Sète
    au plaisir de se rencontrer un jour

    Sylvie Mir

    Réponse

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