on est chez nous

« On est chez nous ». C’était hier le texto parce que je demandais à A. si on se croisait sur la place à la sortie de l’école.
Aujourd’hui les affiches entr’aperçues sur les piles du pont en bordure de la nationale. Pas d’image ; en pleine page cette phrase : « On est chez nous ». C’est par quoi répondaient comme un cri de ralliement les sympathisants à Marine Le Pen lors de ses derniers discours. Version soft de « la France aux Français » que brandissait avant elle son père à la tête du même parti. « On est chez nous ». Version élargie de cette phrase anodine par laquelle on désigne le foyer familial. Est-ce à une grande famille que se sentent appartenir ceux qui s’en réclament ? Ce « on » vague qui ne veut plus dire l’Homme, l’humain, quelle signification doit-on lui accorder sinon celle discriminante, excluante du cercle qui veut qu’il y ait un dedans et un dehors l’un et l’autre se déterminant réciproquement par opposition. Ceux qui en sont et les autres. Les légitimes par une manière d’autorité simple et ce qui ne seront jamais que des étrangers. Aucune manière de transiger. La phrase n’évoque aucun mouvement, aucun transfert possible, seulement une séparation hermétique. Un état de fait, indémontable. Une forteresse qui se défend. Un autre, de manière entendue : « Dieu reconnaitra les siens ». Allez discuter : il n’y a rien à dire contre ça. Eux disent aussi « bon sens », comme de dire « la mer est composée d’eau ». (Il faudrait d’ailleurs revenir pour nous sur cette idée trompeuse du bon sens) La mémoire qui est mobilisée est celle qui légitimise ou garantie une reconduction du même, pour ainsi dire une boucle : de père en fils dit-on, oubliant au passage la moitié de l’espèce. D’être né là autorise à revendiquer une authenticité. Cette authenticité est déjà une légitimité. Cette légitimité devient une force, puis une violence. C’est chez nous. Ici. La preuve, nous y sommes implantés et depuis plusieurs générations. N’allez pas demander si le cercle il faut le considérer comme une vérité éternelle. S’il doit exclure certaines régions. A quelles frontières il doit s’accorder. La France de quelle époque. Dom et Tom compris, Corse ? Echelle locale ? « Nous » s’entend très bien sur ceux qu’il entend rassembler. Même s’il ne le dit pas. Ailleurs ils disent « la France éternelle », c’est une idée, pour ne pas dire un idéal. Une France qui serait fière, souveraine. Indépendante du reste de l’humanité, s’en gardant, s’en protégeant, autonome, autarcique – consanguine. La France avec le tremblement dans la voix comme le général De Gaulle disait en 45 « Paris libéré » après qu’il ait été assiégé et martyrisé.
« On est chez nous », comme ultime rempart. Le monde semble dans un état d’écroulement perpétuel, et tellement compliqué qu’on ne lui reconnaît pas deux mois de suite un même visage. Où que les accents toniques, les saillances nous échappent de se reconfigurer sans cesse. C’est terrifiant. On prierait des fois pour qu’on nous rende le monde plat que l’on habitait autrefois, le haut et le bas bien à leur place et puis les bords au-delà desquels il n’y avait pas à penser parce que ça ne servait à rien qu’à se tourmenter. Oui, un cercle. Qu’ils s’entretuent là-bas ou fassent ce que bon leur semble, on en peut plus du tumulte perpétuel, du bruit et de la fureur, « on ne peut porter sur nos épaules toute la misère du monde », on en colmaterait les volets et monterait des murs aussi hauts que possible pour enfin le calme, pouvoir dormir tranquille si c’est pas trop demander. Est-ce trop demander ? Tout le mal que l’on se donne à la semaine pour avoir le droit le soir, le dimanche de refouler les bruits et les agitations aux confins de la nuit et réclamer l’apaisement étroit de quelques distractions simples qu’ici on partage. Que l’on arrête de tout compliquer. De remonter indéfiniment les causalités. Comprendre, expliquer disait l’autre, « c’est déjà excuser ». Sans doute parce que la compréhension vrai implique de sortir de soi, d’entendre les arguments, les raisons des uns et des autres. Et chercher à comprendre toujours est épuisant. On veut des actions nettes, claires, rapides, qui posent. « On est chez nous », ne demande pas de nuancer ce « on » ou ce « chez nous », encore moins de mettre en question la légitimité, mais des murs ou des barrières, des empêchements, des restrictions, des reconduites à la frontière, des détentions, du point sur la table. « Chaque chose à sa place, une place pour chaque chose ». La phrase marque par ce qu’elle porte d’instinct viscéral, la conservation, la survie. Elle s’oppose au vertige, à la complexité d’une situation inextricable qui fait fi des frontières territoriales. Plainte désespérée. Pour maintenir du confort, du familier dans cette sphère idéale que l’on projette comme le monde.
« On est chez nous » : « le sursaut d’un peuple qui refuse à la fois de se soumettre et de disparaître », disent-ils. Se soumettre à quoi ? Au mouvement de la vie, à la complexité du réel ? Les grands primates s’humanisant se soumettaient-ils à la bipédie, à l’usage des mains, au recours aux outils, à la parole ? Les migrateurs que nous furent aux époques lointaines se sont-ils soumis aux climats, aux paysages ? Ont-ils disparus en même temps que leur pigmentation lors de leur installation dans l’hémisphère Nord ? « Génération identitaire ». Cette revendication d’identité. Identité : « ce qui permet d’identifier le sujet de l’extérieur et qui se réfère aux statuts que le sujet partage avec les autres membres de ses différents groupes d’appartenance ». Jusqu’où de l’identique ? Dans la langue, la couleur de peau, la façon de se vêtir, les activités, les préférences sexuelles, alimentaires, les pratiques politico-religieuses ? « Nous » par le droit du sang, par le droit du sol. Les fluctuations au cours des siècles ont dessiné les frontières nationales qui sont celles que l’on connaît aujourd’hui et que l’on veut fixes, établies définitivement. La France de 1947. Ou de 58 avec la décolonisation ? Ou de 80 avec l’indépendance de l’archipel de Vanuatu, en Indonésie ? Cette portion de territoire mondial ce serait la propriété des français. Est français qui est né en France ou à l’étranger dont au moins un parent est français (droit du sang). Qui est né en France d’au moins un parent y étant né lui-même (droit du sol). Né en France de deux parents apatrides (droit du sol). Qui est né en France de deux parents étrangers mais y réside depuis au moins cinq ans depuis ses onze ans. Par voie d’acquisition. (…)
Que tout le monde puisse prétendre à la nationalité, que nationalité soit un concept évolutif, cela les ulcère. C’est le sang qui prime pour eux et un enfant né d’un couple mixte ne sera déjà plus qu’un demi français. Un français corrompu. Comme l’on dit des chiens qui ne sont pas de race pour être nés de deux différentes, des bâtards. Une définition doit être claire, nette, immuable, incorruptible. Inutile là encore de remonter aux fondements de l’humanité, au berceau du monde. Au grand père africain. Considérons : « nos ancêtres les Gaulois ». Est complètement français qui est né en France de parents français qui eux mêmes sont né en France de parents français etc. jusqu’à Vercingétorix. Qui participe alors d’un récit national.
La grande peur elle est là. De ne plus parvenir à se définir clairement, immuablement. De créer des nuances, des équivalences, des définitions à tiroirs. Toute leçon d’histoire, d’anthropologie vient fragiliser cette construction fantasmée du peuple français né de la terre de France, métissé peut-être en bordure mais dont persiste au centre, au plus profond des campagnes un cœur, une veine pure issue de nos bons vieux ancêtres Gaulois. On sait en quoi le Gaulois relève d’un récit national, d’une fiction politique. Il fantasme une forme d’unité primordiale associée à un territoire et qui serait scellée comme un point originaire. Les Gaules, c’est pour les romains un ensemble de territoires peuplés de Celtes, de ligures, belges ou germains, d’aquitains qu’il s’agit d’agréger à l’empire. Aucune unité là sinon dans la tête de l’envahisseur pour qui ces autochtones dans leur ensemble ne sont pour l’heure pas encore romanisés et donc plus ou moins considérés comme barbares.
Tout le monde fantasme ses origines, chaque culture à ses mythes fondateurs tout comme la bible pose Adam et Eve. Faut-il croire littéralement à Adam et Eve ? Une partie des français a l’impression d’être envahie, ceux qui sont plus récemment installés se sentent regardés d’un mauvais œil et se savent les premiers visés en cas de guerre civile. Tout le monde est paranoïaque, tout le monde se sent agressé et se crispe sur des positions identitaires qui le protège de rentrer dans des considérations trop compliquées.
« On est chez nous » : « Ce slogan est l’expression de cette volonté de vivre sur notre terre, selon nos traditions, avec ceux qui nous ressemblent. L’affirmation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes mais aussi à demeurer eux-mêmes ».
Ultime fierté de ceux qui, dans les émissions de télé-réalité, incapables de se remettre en cause jugent que s’ils ont été évincés du jeu, au moins ils seront restés « eux-mêmes ».
Aucune adaptation, aucune remise en cause, aucune considération du lieu et des autres, ils seront restés sur leur île, sourds à tout ce qui ne relève pas de leur égo.
L’autre, tout ce qui fait l’autre est repoussé à la frontière, nié, exclu de son monde, renvoyé sans interférence. Dans ce régime faussement autarcique, l’autre n’est qu’un agrément, anecdotique, périphérique. « Que croiser un arabe ou un noir soit quelque chose d’exotique », quelque chose d’exceptionnel, comme une touche de couleur, demandait-on lors d’une réunion frontiste. Y compris l’autre en soi, les mouvements qui ont été nécessairement les nôtres au fil du temps, que l’on se compose une figure, une pensée. Ce mouvement même par lequel la vie se fait est occulté ou refoulé à la faveur d’une crispation identitaire, idéologique, mythique.
A la radio on s’effraie d’une vague migratoire susceptible de dissoudre cette identité Gauloise, de tout déséquilibrer. Considérez : il s’agirait d’accueillir 30 000 réfugiés économiques et politiques, des familles fuyant misère et bombardements. La France pour rappel compte à ce jour environ 70 millions d’habitants. Imaginez la dilution. Homéopathique. D’autres chiffres : environ 25 000 français émigrent chaque année, pour une immigration à peu près équivalente. Autour de cette « génération identitaire », des gens bougent.
On s’insurge du nombre de Kebabs en France comme d’une trace évidente d’invasion. Il faudrait taguer aussi tous les revendeurs d’hamburgers, de Pizza, tous les restaurants vietnamiens et chinois, tous les livreurs de Sushi, boycotter toute l’industrie du divertissement hollywoodienne. C’est manifestement la source de tous nos maux. Imposons le jambon-beurre puis que c’est la promesse d’un avenir radieux, le gage d’une identité retrouvée, préservée. C’est un si beau projet qu’un certain Hitler en avait fait sa priorité, son programme, son idée : « le but suprême de l’Etat-Peuple est de conserver les éléments originaires de la race qui, en répendant la culture, créent la beauté et la dignité d’une humanité supérieure ».
Sur une affiche, sur la bordure de la nationale bombée en grandes lettres, l’appel à apaiser l’angoisse du monde, à soumettre sa complexité, ses mouvements à une figure tutélaire, un principe absolu. JM Le Pen faisait campagne pour les européennes de 2009 depuis le parc Astérix, ses gardes du corps portant ce jour là des casques gaulois. D’autres affiches à côté qui annonçaient la venue prochaine pour la saison culturelle d’une chanteuse et d’un humoriste.

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