2011 – Suites en paysages, par Marie Godfrin-guidicelli in Zibeline.

L’Hôtel des Arts à Toulon a une prédilection pour l’art abstrait. Mais Jérémy Liron, peintre en bâtiments, aime à se confronter au réel.
C’est un bâtisseur d’utopies, un architecte du paysage. Il fait partie de cette nouvelle génération de peintres qui se réapproprient le paysage, particulièrement les ensembles urbains, avec une grande liberté. Selon un point de vue distancé : cadrage photographique, format carré 123×123 de préférence, pellicule de Plexiglas, références cinématographiques (Wenders, Godard…) et philosophiques (Deleuze, Schopenhauer). Des images peintes qui jouent un double jeu simultané, celui de l’illusion de la perspective et de l’espace menteur et celui de la surface plane délimitée par les combinaisons de matières (liquides, ici pas d’empâtement), de formes (architecturées) et de couleurs (palette de tons sourds). De fait la frontière entre figuration et abstraction paraît subjective : « C’est une distinction que je ne fais pas de manière radicale, convient-il, car toute image prélevée du monde en est abstraite ». Héritier d’une tradition de peintres qu’il nomme volontiers (de la technique de Rembrandt à la froideur de Hockney), Jérémy Liron s’attache à représenter une réalité architecturale contemporaine exempte de présence humaine – des barres d’immeubles aux icônes avant-gardistes- dont il gomme les anecdotes pour en retenir non un témoignage social mais une œuvre plastique. Qui inviterait à la contemplation par le seul agencement des couleurs et « de formes suffisamment habitée ». Dès 15 ans, il a composé « des images gentilles, des aquarelles et des paysages provençaux » avant d’entrer à l’Ecole nationale des beaux-arts de Paris ; il s’autorise alors une immersion sauvage dans l’art, la vidéo, le cinéma, sans oublier la leçon des maîtres, allant jusqu’à broyer ses pigments, travailler le lavis et les glacis. C’est sans doute dans cette parfaite absorption du passé qu’il a gagné sa liberté. Celle de repenser le monde à sa manière, dans un détachement feint, l’esprit et le regard modelés par la photographie qui modifie son appréhension de l’espace. Le paysage devient-il un objet ? Serait-il totalement désincarné ? Ses séries numérotées et sans titre pourraient le laisser croire…