2012 – Entretient, par Evelyne&Jacques Deretin Art Media Agency.
C’est à l’occasion de la seconde exposition organisée par Art [ ] Collector, projet de mécénat inédit créé en septembre 2011 pour promouvoir des artistes français, qu’Art Media Agency (AMA) a rencontré Evelyne et Jacques Deret, couple de collectionneurs passionnés à l’origine de cette initiative.
Art Media Agency (AMA) : Parlez-nous du projet Art [ ] Collector. Quel est le processus de sélection que vous avez construit ?
Evelyne & Jacques Deret (EJD) : Notre démarche avec Art [ ] Collector, est assez novatrice dans la mesure où elle consiste à montrer dans un lieu privé, pendant une dizaine de jours, le meilleur du travail d’un artiste grâce à l’exposition conjointe d’œuvres emblématiques prêtées par des collectionneurs et de travaux plus récents présentés par sa galerie. C’est un peu une façon de rappeler que la collection c’est aussi le partage…
Au niveau du processus de sélection, trois artistes sont élus chaque année par un Comité de composé de personnalités reconnues du monde de l’art. Pour cette année, ce sont Nathalie et Alexandre Callay (collectionneurs), Frédéric Morel (administrateur de l’ADIAF, Président du Conseil d’Administration de la Villa d’Arson à Nice), Carole Tournay (responsable du mécénat et des événements culturels à la Banque Neuflize OBC), Fanny et Philippe Santini (collectionneurs, directeur de FTV Publicité), Anne Kerner (journaliste, critique et responsable éditoriale), Eric Mezan (Fondateur et CEO d’Art Process) ou encore Isabelle de Maison Rouge (commissaire d’exposition, professeur à la New York Université et journaliste) qui ont participé à l’aventure. Ce sont soit des gens que nous connaissons très bien, soit des gens que nous sommes allés rencontrer comme Frédéric Morel, par exemple. Nous avons discuté avec beaucoup de personnes avant de lancer ce projet.
Chaque année, au moment de la FIAC, le comité de sélection se réuni pour choisir trois artistes qui seront exposés dans le courant de l’année. Nous-même proposons au comité de sélection dix artistes (pour lesquels nous réalisons nous-même des dossiers de présentation) parmi lesquels il en sélectionne deux et un troisième qui est spontanément proposé parmi les artistes que nous ne collectionnions pas spontanément — ce qui est justement le cas ici pour Jérémy Liron. Cela nous permet de découvrir de nouveaux artistes que nous pouvons désormais collectionner. Nous renouvellerons une partie du comité de sélection tous les ans.
AMA : Tout cela est très bien organisé… Comment en êtes-vous arrivés à toutes ces règles précises ?
EJD : Il faut quand même être organisé, c’est un projet que nous avons pensé comme une réalisation professionnelle ! C’est une initiative sur laquelle nous avons beaucoup réfléchi pour être sûrs de son calibrage, de la viabilité de l’idée, sachant que nous n’avons pas une vocation de galerie. S’entourer de gens compétents a été un vrai plaisir mais aussi une nécessité ; et il faut avouer que nous avons été beaucoup soutenus.
On ne vient pas directement du monde de l’art, on a donc besoin d’être conseillés. Nous arrivons dans quelque chose qui est établi, organisé, et il faut s’adapter à nos partenaires. C’est important de faire du brassage et du métissage de réseaux : nos amis peuvent faire venir à tel ou tel artiste — et à l’art contemporain en général — des gens qui n’y viendraient pas spontanément, cela permet de renouveler le panorama artistique. L’opération consiste vraiment à mettre en regard les œuvres des collectionneurs et la production actuelle.
AMA : Le fait que ce soient les collectionneurs qui prêtent des œuvres est intéressant car cela fait référence au lien qui uni l’artiste et le collectionneur… Est-ce que vous mettez en avant cette idée ?
EJD : C’est une vraie rencontre, quelque chose de très intime. Par exemple Evelyne collectionne les pièces qui ont à voir avec l’enfance, avec la folie. Ce sont toujours des œuvres qui nous parlent concrètement. Chaque collectionneur qui a prêté une œuvre et qui a participé au projet a fait un choix et a donc une relation particulière avec l’artiste qu’il a choisi.
Mais toutes les œuvres ne viennent pas que de collectionneurs. Nous invitons la galerie représentant l’artiste — ici, Isabelle Gounod — a également présenter des œuvres de la galerie. Outre que l’exposition peut engendrer des ventes pour l’artiste, cela permet de mettre en perspective des séries différentes et des créations ayant évoluées avec le temps.
AMA : Parlez-nous des catalogues que vous faites réaliser pour chaque exposition.
EDJ : Il nous parait important de laisser une trace après l’exposition. Nous essayons que cette trace soit la plus valorisante pour les artistes. Un catalogue de qualité avec le témoignage de critiques, de la galerie représentante et des collectionneurs qui par leurs achats ont portés l’artiste, nous est apparu comme le meilleur moyen de soutenir sur le long terme les artistes que nous sélectionnons. Nous faisons également très attention à la forme : tous les catalogues ont à la fois une identité propre (à travers une couleur dominante choisie par l’artiste) et un design reconnaissable.
Produire ce catalogue, qui traduit à un instant fixé ce que représente et défend l’artiste, c’est très valorisant à la fois pour nous et pour lui.
AMA : Vous ne choisissez que des artistes français ? Allez-vous investir dans de nouveaux artistes et qu’est-ce qui vous décide dans votre choix ?
EDJ : On ne collectionne pas que des artistes français mais on a voulu commencer Art [ ] Collector en soutenant des artistes travaillant dans notre pays ; cela nous ait apparu comme important aujourd’hui.
On essaye de toujours enrichir notre collection, on continue à acheter. Ce qui est plus difficile, c’est maintenant le manque de place.
Nous ne collectionnons pas les mêmes œuvres ; chacun a en fait sa « propre » collection. Evelyne préfère les travaux plus féminins, parfois plus dérangeant, qui représentent le plaisir pervers de l’enfance, assez colorés ; les œuvres que collectionne Jacques sont plus simples, plus directes, moins colorées. Il y a quelque chose de très personnel, qu’il est difficile d’exprimer, dans l’histoire que chacun entretien avec ses œuvres ; ces histoires peuvent d’ailleurs parfois être très loin des intentions des artistes.
L’art nous rapproche, ne nous sépare pas. C’est la première fois que nous travaillons ensemble et même si il y avait un peu d’appréhension c’est très agréable et finalement très excitant. Avoir cette occasion là est un vrai plaisir.
AMA : Qui s’est occupé de l’installation ici au Patio Opéra ?
EDJ : C’est Jérémy Liron, l’artiste, qui s’en est lui-même chargé. Accrocher les polyptyques n’a pas été une mince affaire ! D’ailleurs, il a été surpris de revoir certaines de ses œuvres qu’il avait vendues précédemment (et un peu vite parfois d’ailleurs). C’est important pour un artiste de varier les lieux, il peut percevoir les choses différemment et raconter les choses de manière distincte aux visiteurs. D’ailleurs, il présente du 8 septembre au 27 octobre son exposition intitulée « L’inquiétude » à la galerie Isabelle Gounod dans le Marais. Cette exposition, tout comme la nôtre, souhaite rappeler que le regard que l’artiste porte sur le monde n’est pas anodin, anecdotique ou innocent ; bien au contraire, c’est un regard qui construit, fabrique et pointe du doigt un manque — celui d’une vision fragmentée, qui fait le socle de sa peinture.
AMA : Comment s’est passée votre collaboration avec Le Patio Opéra ?
EDJ : Le Patio est situé à deux pas de l’Opéra Garnier, au coeur d’un périmètre prestigieux historiquement lié au monde des affaires et à celui de la création (Faubourg St Honoré, rue la Boétie, la Bourse…), mais avec peu ou pas de galeries dans l’environnement immédiat. Le Patio Opéra est un lieu pleinement dédié à l’expression artistique sous toutes les formes (expositions, projections, débats), c’est donc naturellement que nous avons voulu réaliser ce partenariat. En 2012, il a dévoilé deux nouveaux espaces, le Studio — que nous avons aidé à rénover : au 1er étage (200 m² baignés de lumière naturelle, vraiment propice à ce que nous voulions y faire) et l’Abri : 100 m² de caves voûtées haussmanniennes, ancien abri anti-atomique, écrin secret pour les expositions les plus originales.