2012 – L’inquiétude, par Tom Laurentin Connaissance des arts.

Dans les architectures de Robert Mallet-Stevens, héraut de la construction particulière d’avant-garde, se lit l’utopie d’un monde harmonieux débarrassé de toutes ses scories. Le couturier Paul Poiret, habillant les dames de la Belle Epoque comme les gueules cassées de la Grande Guerre, commente en 1922 la réalisation de sa résidence principale, confié à Mallet-Stevens, en ces termes : « Elle était toute blanche, pure, majestueuse et un peu provocante, comme un lys. » Le jeune peintre contemporain Jérémy Liron, lui, pointe l’écart entre le projet originel et totalisant du modernisme – cette « mise en ordre du monde » – et sa perception actuelle, fragmentée. Ce n’est pas seulement des bâtiments que l’on observe au sein de son œuvre, mais des pans proustiens où l’errance du regard est obstruée dans sa percée par la peinture elle-même : ainsi plusieurs toiles nous situent de part et d’autre de grandes haies vitrées et l’obsession de l’ouverture propre au modernisme se trouve clôturée par l’épaisseur d’une couche ou la masse d’un arbre. Comme s’il s’agissait de renforcer l’impossibilité de percevoir de façon cohérente le monde. Jérémy Liron s’arroge parfois le droit de ménager des réserves aux formes triangulaires, tels des signaux de l’absence au réel, le tout au sein d’une rassurante perspective albertienne. Cette mélancolie construite trouve sa forme paroxystique dans la série des Images inquiètes, portée à la noirceur nocturne. Les lignes que laissent les volumes de l’architecture dans le noir y agissent comme d’ultimes repères, et un remède pour retrouver l’harmonie en trompe-l’œil des ciels azur du jour, qui forment la part majeure de sa production.