2014 – tenir au carreau, par Jean-Emmanuel Denave in Le petit bulletin.

Exposition « Passages » au Musée Paul Dini et à la Fondation Bullukian Exposition en deux volets, l’un au Musée Dini, l’autre à la Fondation Bullukian, «Passages» rassemble une vingtaine d’artistes contemporains autour du thème et du motif important de la fenêtre.

De la théorisation de la perspective par Leon Battista Alberti (1404-1472) à Windows ou aux appareils photo de nos téléphones portables, il existe une ligne continue et cohérente, que l’on pourrait résumer par cette phrase fameuse d’Alberti : «Je trace d’abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, et qui est pour moi une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire». Cette idée de peinture ou de photographie comme fenêtre ouverte sur le monde, cette idée de « réalisme », est en fait une vision de ce monde, une certaine manière de l’appréhender selon des lois optiques et géométriques précises. Dès la Renaissance, Léonard de Vinci notait avec une belle clairvoyance critique : «La perspective est le frein et le gouvernail de la peinture». Quelques siècles plus tard, Cézanne fera de la Montagne Sainte-Victoire un «paysage avec ses déformations, ses empiétements, ses ambiguïtés, ses divergences, tel qu’on peut le voir avant de le regarder, avant que la coordination orthogonale de ses lieux soit faite» (Jean-François Lyotard).

Fenêtre, miroir, écran…

On sait aujourd’hui que la soi-disant fenêtre transparente de la perspective est aussi un miroir (où le sujet « voit » sa propre manière d’appréhender le monde) ou bien un écran (on ne voit du monde que ce que la « fenêtre » veut bien nous en montrer). S’intéressant au devenir contemporain de la fenêtre, l’exposition Passages a donc du grain à moudre en s’attelant à un tel enjeu névralgique de la peinture et des arts plastiques en général.

En ordre un peu dispersé, elle rassemble au Musée Dini et à la Fondation Bullukian plusieurs artistes contemporains régionaux abordant le motif ou le concept de la fenêtre : de Jacques Truphémus au beaucoup plus jeune Jérémy Liron, des facéties de Samuel Rousseau aux très sérieuses images mises en espace d’Aurélie Pétrel, du travail sur l’abstraction de Stéphane Braconnier ou Damien Béguet aux belles photographies de Jacqueline Salmon ou de Véronique Ellena… Libre alors au spectateur de tendre des liens entre les artistes et d’élaborer quelques réflexions théoriques. Quoique Fernando Pessoa nous prévienne : «Il ne suffit pas d’ouvrir la fenêtre / pour voir les champs et la rivière. / Il ne suffit pas de n’être pas aveugle / pour voir les arbres et les fleurs. / Il faut également n’avoir aucune philosophie».