2015 – ABBÉ MORT EN PRÉ AU CUL LIS, par Cyrille Noirjeanin intervention prononcée le 8 janvier 2015 au théâtre l’Élysée à Lyon lors de la première soirée publique du séminaire de l’ALI-­‐Lyon, Écritures du vide.

(…) La poésie chinoise – tout comme la peinture – ne décrit pas le monde : poète et peintre ne sont pas prisonniers de la représentation ; ils supportent leur pratique d’un système qui organise des liens et provoque des actes de signifiance rappelle François Cheng. Cette position éloigne radicalement des fondements de notre système de pensée et d’appréhension du monde qui « met une différence entre l’objet et la représentation. On sait cela, pour se le représenter mentalement » (J. Lacan, Le rêve d’Aristote). Le texte de François Cheng, L’Écriture poétique chinoise a été porté par les structuralistes – Julia Kristeva notamment –, cette congruence se trouve dans le commentaire des Ménines par Michel Foucault, au chapitre premier de Les Mots et les Choses. Il place le sujet dans une position équivalente à celle qu’il trouve dans la poésie chinoise : « Mais là, dans cette dispersion qu’elle [la représentation] recueille et étale tout ensemble, un vide essentiel est impérieusement indiqué de toutes parts : la disparition nécessaire de ce qui la fonde, – de celui à qui elle ressemble et de celui aux yeux de qui elle n’est que ressemblance. Ce sujet même – qui est le même – a été élidé. »
Des entreprises poétiques contemporaines en langue française interrogent ce lieu vide, constitué dans notre langue par le ratage de la chose par les mots. Dans La mer en contre bas, tape contre la digue, Jérémy Liron pose la question de savoir s’il y a une possibilité de venir habiter cet espace entre les mots et les choses ; la réponse qu’il suggère est du côté de l’impossibilité de la prise de ce lieu par les mots. Par une autre voie, Nicolas Pesquès se livre, au fil de la dizaine de recueils La Face nord du Mont Julliau, à la tentative d’épuiser par les mots le monde circonscrit à ce mont d’Ardèche qui lui fait face, creusant ainsi l’écart entre le paysage (de mots) et le réel. Dans la poésie chinoise, aucune tentative de combler ni de cerner le lieu vide, il est le lieu d’où elle souffle. Ce vide est le ressort de la poésie chinoise, à entendre dans sa polysémie : à la fois son étendue d’action, à la fois ce qui met en mouvement, et à la fois ce qui reprend sa forme. (…)