2019 : Habiter, par Jacques Josse in Remue.net, août 2019.
Habiter un lieu, un espace, y faire halte de façon éphémère ou s’y poser durablement, n’est pas une mince affaire. Celui ou celle qui s’installe ne le fait pas inopinément. Auparavant, il a fallu chercher, tourner autour, dénicher le bel endroit. On y porte son corps, son passé, ses envies, ses rêves et des projets d’occupation, de partage et d’équilibre qui ont été longuement pensés et façonnés. C’est autour de cette vaste question – où, comment habiter (une maison, une chambre, une cabane, un appartement, etc.) – que Sereine Berlottier (avec ses textes, poèmes et proses) et Jérémy Liron (avec les reproductions de ses peintures) ont bâti leur livre. Fait de « traces et de trajets », il incite plus au nomadisme qu’à l’ancrage définitif. Et c’est cela qui le rend passionnant.
Son architecture est judicieuse. Aux façades, éléments de paysages, boîtes aux lettres, fenêtres perchées, vitres floues, gouttières, rambardes, portes de garage ou intérieurs presque vides (où dominent une palette de jaune et de belles nuances de vert) peints par Jérémy Liron répondent les cinq textes de Sereine Berlottier.
« S’il m’arrive de rêver à une maison inconnue, n’est-ce pas que je lui délègue des facultés d’accueil, une certaine disposition au bonheur, qui en ferait, sans que je puisse en définir plus longuement les contours, un lieu approprié, non pas tant au sens d’une possession qu’à celui d’une justice, d’une justesse, un lieu pour la paix, la respiration du corps et de la pensée, lieu favorable pour moi et ceux qui me sont proches ? »
Ses 144 fragments pour habiter, où sont assemblés pensées, réflexions, rêveries, extraits de lecture et souvenirs personnels, disent combien la notion d’habiter est délicate. Elle revient sur plusieurs épisodes de sa vie. Revoit les lieux où elle a vécu. Sait que dans certains d’entre eux, où elle ne retournera jamais, se trouve toujours une part d’elle-même. Quelques chambres, maison d’enfance, vieille ferme, appartements et bureaux logent ainsi dans sa mémoire. Et d’autres, rencontrés en rêves, au hasard d’une lecture ou d’un article de presse, lui ouvrent d’autres portes, l’invitant à élargir son champ d’investigation.
« Crise du logement, « mal logement », il me semble que ces mots tiennent étrangement à distance ce dont ils témoignent. Misère, malheur, vie dans l’inhabitable, inhabitable vie, serait-ce plus juste ? »
Son regard s’avère aiguisé, sensible et pertinent. Elle se réfère régulièrement à ceux qui ont beaucoup exploré le sujet. Leurs présences (notamment celles de Perec et de Bachelard mais également de Calvino et de son Baron perché qui se réfugie dans les arbres) sont autant de fenêtres qui éclairent un livre qui devient, lui aussi, à sa manière et au fil des pages, une maison habitée.