Habiter, par Stephen Dock (photographe), Zakarian-Navelet (architectes-urbanistes), Arnaud Maïseti (universitaire, écrivain), Sereine Berlottier (écrivain) et Jérémy Liron (peintre), par Fabien Ribery, in L’intervalle, juillet 2019.
« J’avais dans ma maison trois chaises : une pour la solitude, deux pour l’amitié, trois pour la société. » (H.D. Thoreau, Walden ou la Vie dans les bois)
Pour fêter les dix ans de leur agence d’architecture, Stanislas Zakarian et Olivier Navelet avaient envie d’un livre consacré à une de leurs constructions, une maison, située sur la presqu’île de Giens (Hyères), avec vue sur mer, arbres et espaces pouvant faire fonction d’agora.
Deux artistes ont été invités, Stephen Dock, photographe (lire mon article récent sur son Human Interest Stories) et Arnaud Maïsetti, écrivain, ainsi qu’une éditrice sensible à la cause architecturale, Charlotte Guy (éditions Sometimes).
L’environnement est unique, coincé entre la mer et les collines. Vues d’ensemble, plans, maquettes, coupes, premières approches photographiques.
Les mots se mêlent aux images, ce sont des corps se rencontrant.
Intelligence des dessins, des constructions, des phrases.
Intelligence de la communauté des bâtisseurs, de ceux qui fournissent le béton aux équipes du gros œuvre, des menuisiers aux paysagistes.
Une maison, un lieu, une totalité, des rayons qui fécondent, des ombres auxquelles s’abandonner.
Exposer les pièces d’un puzzle, avec soin, sur le tapis du livre (The Lying Forest).
Laisser respirer les surfaces, tout apprécier, du gravillon, à la qualité remarquable du béton, des oliviers à la sagesse méditerranéenne (pensée de midi camusienne).
Rectangle d’une piscine, forteresse pénétrable des doux murets, larges fenêtres ouvertes sur le bleu et le bois.
« Les fenêtres pourraient aussi être des tableaux, remarque Arnaud Maïsetti, et c’est peut-être le cas.»
On peut ressentir ici de la mélancolie, parce que tout semble en attente d’être habité, réveillé, soulevé par le rire des occupants encore absents.
Nous sommes au seuil d’un paradis possible. Pour le moment, nous sommes hors saison.
De l’autre côté du mur, il y a tout à inventer, réinventer, réagencer dans le neuf et la mélodie des jours, seuls et ensemble.
C’est un pari, l’un des plus beaux qui soient.
Habiter, disent aussi l’écrivain Sereine Berlottier, en un ensemble de cinq textes très différents (poème/prose), et le peintre Jérémy Liron.
Qu’est-ce qu’un Lieu favorable, se demandent-ils (premier texte) ? « de mémoire presque rien », du soin (pour les arbres, le petit chien, le mur de pierre), un poêle (imaginer une bûche pourpre), un champ non loin, la possibilité d’abattre les cloisons, et de ne pas le faire.
« près de cette maison / des arbres poussent seuls / dans leur absence de nom / des choses tombent / et même de petits animaux nourrissants / parfois un bassin étroit / où regarder / des corps / les tiges lourdes d’intention / que le paysage suppose »
Tu lis L’annonce (texte 2), tu rêves, tu scrutes les détails, tu flottes, tu te projettes, tu te montes le bourrichon, tu inventes un récit, tu dérives. Cette maison, c’est une grange, une barque désarrimée, des voix muettes que tu entends pourtant
« parfois c’est juste un meuble, un bureau de bois mat devant une fenêtre, et ce bureau peut suffire pour abriter la maison tout entière, pour la promettre, la dessiner »
144 fragments pour habiter constitue la partie centrale de l’ouvrage. Il y est question – en de courts paragraphes construits comme des propositions de pensées (des parpaings poreux) – de conte, de Bruno Bettelheim, de cabanes (lire le récent Nos Cabanes, de Marielle Macé chez Verdier – entretien avec l’auteure dans L’Intervalle), de Georges Perec (le guide), de ruines, d’anecdotes personnelles ou de faits divers, de chambres de bonne, d’Ulysse, d’enfance, de pays natal, de Virginia Woolf, d’Ivan Illich, d’abri, de fiction, de camps de réfugiés.
« Maison, du latin manere, qui signifiait demeurer, rester, s’est imposé en français, tandis qu’en italien, en espagnol et en portugais casa (que l’on retrouve en français dans case) s’est maintenu. »
Petite-fille de l’architecte de l’Institut Marcel Rivière, « établissement de santé mentale », fondé en 1959 par la Mutuelle générale de l’Education nationale, à La Verrière, dans les Yvelines, Sereine Berlottier connaît la chanson de l’habiter, des chantiers en cours, des interdictions de pénétrer en ces lieux, et des passages secrets.
Fragment 62 : « Il me semble qu’il y a eu une période où les architectes se méfiaient des murs. Comme certaines de ces architectes étaient mes parents, j’avais souvent froid. »
Fragment 74 (citation de Gaston Bachelard) : « L’intimité a besoin du cœur d’un nid. »
Vendre son appartement, puis le racheter, rien de mieux.
Fragment 127 : « L’apparition du mot souplex désignant un appartement disposé sur deux niveaux, dont l’un est en réalité un sous-sol ou une cave, aménagés. Ce qu’un tel néologisme tente d’usurper en souplesse, à défaut de lumière. »
Ailleurs (texte 4) est une maison protégée par les arbres et les écureuils, que prolonge La Cabane, « espace sans prédation supposée ».
Qu’elle soit de béton ou de paille, la cabane est une peau dont nous désirons terriblement, à nous y frotter aux quatre coins de la langue et des rêves, la possibilité d’apaisement.