En présence d’un paysage urbain de Jérémy Liron, le spectateur éprouve une sensation dérangeante, faite à la fois de familiarité, comme s’il reconnaissait le lieu, et en même temps de défiance, avec le vague sentiment que « quelque chose ne colle pas ». Une impression d’autant plus dérangeante que les tableaux, parfaitement exécutés, ne paraissent pas traduire une intention facétieuse chez leur auteur. Pourtant il s’agit le plus souvent de paysages illusoires, imaginés par un artiste doté d’un humour très personnel, qui parfois dans ses tableaux, s’amuse à adresser un clin d’œil à d’autres artistes, telle une ombre sur un mur qui rappelle les formes déchiquetées de Clifford Still, un buisson taillé en boule comme on en voit chez Edvard Munch, ou une allusion à une œuvre de Per Kirkeby. Cet humour discret voire secret, ne saurait néanmoins occulter l’engagement total de Jérémy Liron dans sa peinture, dans un corps à corps quotidien avec la toile dans la solitude de son atelier.
Au départ de son travail il y a des photographies de bâtiments et de paysages, qu’il prend à la volée, sans idée bien arrêtée de ce qu’il en adviendra. Puis, peu à peu, par un mélange d’éléments issus de ses prises de vue, ou sortis de son imagination, un tableau s’organisera et prendra forme au terme d’un cheminement souvent très long, fait de tâtonnements et de doutes.
il nous parait utile de décrire ce processus, car, contrairement à d’autres artistes chez qui les traces d’un travail laborieux sont évidentes, quelquefois même trompeuses, les œuvres de Jérémy Liron, par l’équilibre et l’harmonie qu’elles dégagent, peuvent donner au spectateur l’impression fallacieuse d’avoir été réalisées sereinement, par un artiste sûr de son métier, étranger aux affres de la création.
il faut également souligner qu’en choisissant la peinture comme moyen d’expression au sortir de l’école des Beaux-Arts de Paris, et notamment le tableau de paysage, Jérémy Liron ne se situait pas dans le courant dominant de l’époque. Ce faisant, par cette position qui pouvait être qualifiée d’antimoderne ou tout au moins singulière, il s’inscrit aujourd’hui dans un courant puissant, qui réunit de nombreux peintres désireux de se confronter à notre environnement quotidien, tels Yves Bélorgey ou Koen van den Broek. Tous ces artistes utilisent la photographie comme point de départ de leur travail. ils captent des sujets urbains, somme toute banals, sans qualités esthétiques particulières, sur lesquels notre regard ne fixe pas habituellement son attention. Un peu comme ont pu le faire en leur temps Edward Hopper et Giorgio Morandi.
Évitons néanmoins la double tentation de ramener le travail de Jérémy Liron à une position en quelque sorte documentaire sur notre époque, une sorte de « Jérémy Liron témoin de son temps », et d’autre part, d’appréhender son travail comme un bloc monolithique qui s’offrirait au spectateur “ne varietur”. Sur le premier point, puisque nous avons évoqué plus haut le caractère semi-fictionnel de son travail, on ne pourrait au mieux que lui attribuer un rôle semi-documentaire. Mais la liberté qu’il prend avec la réalité, est chez lui le moyen d’accéder à une vérité picturale, à l’exemple du Parthénon d’Athènes qui contre l’évidence, ne comporte aucune ligne droite. Ce mentir-vrai qui est au cœur de toute création artistique, est chez Jérémy Liron, le fondement de son œuvre.
Par ailleurs, les thématiques qu’il traite n’ont pas cessé de se diversifier. Ainsi, s’il reste attaché depuis ses débuts à l’étude des rapports entre le bâti et le végétal, Jérémy Liron n’hésite pas à prendre pour sujet les sculptures d’Henry Moore, d’Anthony Caro, ou l’atelier de Constantin Brancusi. De même, si une grande partie de son travail décrit une France péri-urbaine, avec son habitat pavillonnaire sans identité, il s’intéresse également aux icônes de l’architecture moderne, comme la « maison du fada » de Le Corbusier à Marseille ou la villa Malaparte à Capri. Liron s’abandonne en outre sans retenue à la peinture de nos paysages méditerranéens.
on peut remarquer qu’au fil des ans, la facture de ses œuvres a sensiblement évolué. Les coulures de peinture ont disparu, ainsi que les zones qu’il laissait inachevées, comme on peut en trouver dans les toiles de Giacometti ou de Giorgio Morandi. Plus apaisées aujourd’hui, les œuvres de Jérémy Liron s’attachent à privilégier dans la profusion du réel, la géométrie qui structure l’espace. Son coup de pinceau est moins emporté, ou pour nuancer le propos, diffère en fonction des tableaux.
Si certaines toiles offrent au regard une surface épurée, quasi mondrianesque, d’autres au contraire laissent à la touche toute sa liberté expressive.
Le visiteur de l’exposition pourra s’étonner de voir sur les cimaises, des pièces métalliques à la géométrie simple, l’une d’entre elles disposant même d’un tube néon branché sur le secteur. Ces volumes, pourtant si différents de son travail habituel, s’inscrivent néanmoins dans sa continuité, puisqu’elles sont le dernier avatar du questionnement inlassable que livre Jérémy Liron depuis ses débuts, sur les structures qui nous gouvernent : la géométrie dans tous ses états.