Cedric Lerible, de ce pas.

La République En Marche, Le Rassemblement National, Les Républicains, Le Mouvement Démocrate, Le Mouvement Radical, Agir, La France Insoumise…
A chaque fois j’entends la Marseillaise. Je veux dire, cet élan, cette fierté. De l’orgueil même. Une propension à l’héroïsme. Les torses se bombent, les voies respiratoires s’oxygènent, les têtes s’embustent de marbre, à la romaine. C’est plein de majuscules. L’hémicycle est en bois vernis, lustré, on s’apostrophe, le doigt comme le St-Jean-Baptiste de De Vinci. Il y a toute une pantomime des majuscules.
Aurait-on un jour un parti qui susurrerait : « de ce pas » ?
Non pas « En Avant !», « En Route !» ou « Cap au pire ! », mais « de ce pas ». Et sans doute d’ailleurs « de ce pas » serait un lambeau de phrase décroché de l’inaudible, saisie au détour d’une conversation. Les autres ont les pieds fichés dans les starting blocks, réclamant le coup de révolver, mettent la main à la boutonnière, lancent « En Marche » ; celui-là serait aperçu dans un mouvement en cours, à l’occasion d’une ballade, d’une promenade, quelque chose de très simple, de quotidien.
Il arriverait à la tribune… non, laissons tomber la tribune… il passerait à côté, viendrait s’asseoir sur le bord de la scène comme les roadies fatigués pour une pose cigarette. Comme ça, en jean’s, même pas de cravate. Pour commencer, il remarquerait comme « nous sommes tous piétons planétaires », traversant toute sorte de choses, de situations, d’états, de lieux. Et traversés en retour. Animant ensemble mouvement des jambes et souffle mental, rêveries à la Rousseau, dérives, divagations, considérations.
Il irait et viendrait, recensant les typologies de marches, celles qui se proposent à l’esprit, les voies, des venelles aux boulevards, jouera des mots comme d’un petit objet au fond de sa poche.
Marcher a peut-être été la première écriture. Du moins, chaque vie sème des traces, sinon dans le visible, du moins un bruit, une odeur. Et chaque fois qu’une vie considère une de ces traces, elle se fait lectrice.
L’art n’est pas loin, s’il est lui aussi une attention aux traces, c’est-à-dire à la présence dans l’absence, aux signes et à leur interprétation, voire leur équivoque. Mais aussi par l’expression, le mouvement ou le geste qu’enregistre la trace et qui est comme une extension du corps hors de lui-même, une extension de la vie dans la possibilité qu’elle se donne de faire des traces fausses, d’opérer une dissociation entre laisser trace et dire.
Chemin faisant, se développe en une manière de cueillette une hodologie de la marche, du cheminement. Pas un essai-somme, plutôt un balisage. A chacun s’il le souhaite de l’annoter, de le poursuivre : c’est un livre-carnet.

Cédric Lerible, de ce pas, éditions La Boucherie Littéraire, 2021.
Image : Richard Long, Stones and flies.

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