désynchronisation

On fait ce que l’on peut avec nos contradictions et on poursuit, on perpétue depuis là où l’on est quand la situation peut-être demanderait la rupture, le grand bouleversement. Mais ça non plus on n’y croit pas. Désabusé. (Persuadé) qu’il n’y a pas de changement possible, ou pas radicalement. Des gesticulations seulement. On brasse dans un sens ou dans l’autre, mais au fond, les mêmes paquets de nœuds qu’on n’en finit pas d’emmêler toujours plus depuis une éternité. Et même à partir, on ne ferait que déplacer les choses, les trainer avec soi. On essaie d’aller chercher quelque chose de plus calme, de plus apaisé. On sait bien que l’on fait avec son propre présent. On taillerait une branche au canif pour la durcir au feu, on n’en serait pas moins contemporain de tout ce qui nous entoure. On essaie d’en sortir par un peu d’anachronisme, d’inactualité. D’échapper à l’injonction redondante d’être doublement contemporain ou de l’être manifestement. On désespère de l’humain. Il y a des choses vraiment moches. Tout va tellement vite, on échappe des émotions à peine formées à la fenêtre comme le paysage défile derrière la glissière de sécurité. Cette phrase vertigineuse d’Hannah Arendt : «La terreur est l’accomplissement de la loi du mouvement.» Nos émotions ne se rassemblent jamais tout à fait. Comment faire pour que nos gestes ne se succèdent pas dans la même frénésie ? Est-ce que l’art n’est pas un de ces rares espaces de désynchronisation possible ?
On ralentit le souffle et on se penche. Essayer de caler la respiration du monde sur ce mouvement calme. C’est comme ça que j’endormais ma fille quand ses angoisses montaient avec le soir : je posais mon front sur le sien, elle était dans son landau, je respirais lentement, profondément. Aller chercher le souffle tout au fond, avec lui traverser tous les paliers, en mesurer l’envergure. Donner un rythme aux choses comme la rotation du jour.

1 Commentaire

  1. Erner Josseline

    j’aime ce texte mais je ne suis pas désabusée : l’humanité reste, fragile mais tenace, toujours renouvelée .

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


− deux = 4