Estèla A.

« J’utilise des teintes silencieuses ».
E.A.

« Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. »

« Il y a assurément de l’indicible. »

« Car le doute ne peut subsister que là où subsiste une question; une question seulement là où subsiste une réponse, et celle-ci seulement là où quelque chose peut être dit. »
Wittgenstein

Il y a une élaboration par la ruine. Une ruine constructive. Un geste qui s’appuie sur une forme d’érosion, une économie du manque, de la discontinuité et de l’incomplétude. Tout comme il est une écriture du silence, du suspend. Des regards qui vallonnent aux reliefs du visible comme on laisse la main dessiner à même l’air en paroles évasives, ou courir, errer rêveuse, méditative, oubliée, pensive au galbe d’une hanche, sur la détente d’un dos sur la carte duquel sont dispersées comme des oasis des étoiles brunes dans un ciel clair – des beautés.
Des moments qui s’étirent et abrasent le superflu sous les passes du silence. Pareils à des sentiers étroits à flanc de falaises, au spectacle du vertige. À ces marches longues qui bercent l’âme. Ces larmes qui montent au long d’on ne sait quel tuyau de ce que les mots inversement semblent fuir au-dedans, se tapir dans le nœud de la gorge. Cette impression d’une malice ou d’un signe déposé là, ou seulement possible, qui suscite une connivence qui n’est peut-être qu’entre vous et la disponibilité des choses, mais berce un instant l’angoisse inavouée, profonde, de la solitude, de la surdité du monde, de l’étouffement des peines.
Il y a une jeune femme qui dessine à même la mémoire dans une tenue de toile claire. Arpente l’invisible. Note les vestiges. Mais sa présence s’efface dans le plâtre de la lumière comme sur une veille pellicule de film. Elle n’a peut-être jamais été qu’un signe invitant à scruter la rencontre estompée du ciel et de la mer. Une découpe, une jointure, un raccord ; la correspondance entre deux angles de mur, le dessin d’une structure affleurant. Toutes sortes de choses ténues qui suscitent une lecture de l’espace, une simple circulation du regard.
Ces manières de reliefs qui permettent le mouvement comme les ruisseaux se font dans le jeu de pentes, de creusements, dans l’évitement d’épaisseurs ou de compacités, comme nos propres mouvements intérieurs répondent d’inclinaisons.
On a pareillement déployé un instant à considérer le feuillage argenté d’un peuplier dans le lointain s’animant sous le vent. À habiter des sensations. Et concluait à ces occasions que se sentir vivant consistait à se percevoir dans l’espace, pris dans une géométrie impalpable, comme traversée de lignes, pareille à ces constellations dont on dresse la figure en accrochant des points sur un plan imaginaire.
On dira que c’est peu sans doute. Ou on ne dira même pas. C’est.
« Les sentiers sont âpres.
Les monticules se couvrent de genêts.
L’air est immobile.
Que les oiseaux et les sources sont loin !
Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. »
*
Demeure cette immobilité hystérique, ce suspend prolongé. Cet imperceptible tremblement de l’impatience. Le lit du temps.

Image : Exposition Estèla Aillaud BF15 Lyon, La mesure du doute, 2016. Photographie : Sans titre, 2012.
*Arthur Rimbaud, Illuminations.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


trois + 9 =