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La photo que l’on n’a pas prise

C’est en essayant de comprendre la nature de la frustration éprouvée pour avoir manqué une photo dont j’entrevoyais la possibilité que j’ai pu convenir pour moi-même qu’il y avait dans l’acte de photographier quelque chose d’un ajustement. La réalisation d’une correspondance ressentie ; sa confirmation ou une manière de l’entériner. Une forme d’emboitement et de vérification que la photographie vient attester.
J’avais été témoin d’un arrangement – comme on dit l’alignement d’une fenêtre de tir. Il n’y avait plus qu’à sceller l’instant, l’équilibre précaire, passager. Le fixer, non pas bien sûr dans sa réalité mobile, mais dans la matérialisation d’un récit qui venait l’informer. N’ayant pas déclenché (pas osé, pas eu le temps de), j’étais resté au bord de quelque chose. Le geste n’était pas allé au terme de sa phrase. C’était quelque chose comme ça, de chorégraphique si l’on veut, avec amorce, intensification et redescente jusqu’au repos. La formulation d’une émotion qui sourd se forme et s’apaise. Forme et contre-forme ne s’étaient pas rencontrées et comme tranquillisées dans leur union. Me restait ce désir blessé, déçu, non réalisé.
L’acte photographique à ce que j’en comprenais alors combinait en somme une sorte de jubilation semblable à celle que connait le jeune enfant lorsqu’il passe des pièces à travers des formes correspondant (le carré dans le carré, le ronde dans le rond, le triangle dans le triangle…) et un mouvement ondulatoire d’expression corporelle qui rencontre malicieusement l’érotique de cette mécanique. C’est en cela que photographier c’est toujours à la fois prendre une photographie et faire une photographie. Marquer un but et réaliser un geste. Répondre à la géométrie du réel en manifestant la reconnaissance de ses jeux et y répondre par la domestication de ses élans et désirs, dans cette façon justement de jouer de l’espace de liberté qui excède la seule réalisation mécanique. Là où la précision de la réponse, son à propos, s’étoffe d’une expression, d’une conscience esthétique des commerces que l’on entretien.

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