Tout se passe comme s’il nous était aujourd’hui devenu impossible d’inventer une image depuis l’expérience brute que nous faisons du monde. Comme si l’expérience elle-même ne pouvait qu’être toujours troublée par notre mémoire personnelle et ce qu’elle fait entendre d’échos introduisant chaque chose dans un champ, dans une histoire, mais aussi par toute l’histoire humaine qui s’invite de manière subreptices comme mémoire collective inconsciente. Le monde est ainsi miné d’images et d’idées auxquelles on bute ou qui jaillissent et viennent se manifester en-dedans l’expérience elle-même, prenant la main en quelque sorte pour rappeler l’humanité à laquelle nous appartenons irrémédiablement ; humanité qui nous est consubstantielle et nous préexiste. Locataires provisoires, momentanés des mots, des images, du monde. C’est ce que l’on appellera la culture. Toute expression est socio-historiquement déterminée. La culture fabrique les objets comme toujours déjà de son champ, toujours familiers. Elle fait du monde du familier. Elle devient alors l’objet de son propre regard, le vocabulaire de ses propres phrases. Rien n’est jamais découvert qui n’est immédiatement disposé à sa place, celle préméditée qu’on lui reconnaît. N’importe quel geste, du plus sommaire au plus raffiné vous rappellera par les faveurs de votre culture à une au moins de ses occurrences dans l’histoire ou dans le patrimoine visuel. Et quand bien même vous ignoreriez la référence, celle-ci n’en serait pas moins existante, opérante, identifiable et bientôt lisible, lue par ceux qui s’en feront les témoins. Ainsi, chaque représentation n’est pas simplement traduction de notre rapport au monde ou de l’expérience que nous en faisons, mais représentation émergeant dans le champ dense des représentations qui lui préexistent, jouant dans ce terrain, engagée, se déclarant sitôt qu’elle éclos jouer sa place, prendre position, littéralement et symboliquement dans ce champ. Toute expression, dès qu’elle est partagée, rendue publique se trouve dépendante de toutes les expressions. Et ce qui n’était initialement qu’aventure personnelle rejoint le politique au sens large, c’est-à-dire le fait collectif, social, le réseau d’interactions dont il est tissé.