Paul Vergier : Berlin on wood.

On pourrait faire, en marge de l’histoire des chefs-d’œuvres par lesquels les époques et les cultures se parcourent à grands pas, d’une émergence à l’autre, celle des œuvres humbles qui en ont fait dans l’ombre la matière, laborieuses ou légères, et qui de ne rien demander sont renvoyées à une foule indistincte, anonyme, floue de contours.
Il y aurait là des choses juste croisées, images de salle d’attente, pochades d’un ami, d’un parent donnant du pinceau ou du crayon à ses heures. Des illustrations et des dessins d’enfants. Des œuvres de jeunesse, des pochades sans prétention. Des souvenirs.
Les petites peintures sur bois que Paul Vergier réalisa, dit-il, lorsqu’il habitait Berlin en 2002, glanant le motif sur son vélo, sont pour moi de celles-ci. Rien d’héroïque chez elles, ni dans le format, ni dans le geste, ni dans une recherche qui participerait d’une quelconque avant-garde ou d’une démarche cherchant la singularité. De simples témoignages, un état des lieux, des vues comme son prêtes à en accueillir les surfaces rectangulaires que l’on se place entre les mains alors que l’on regarde. Des façons d’accompagner les heures contemplatives qu’il nous arrive de connaître.
Chantiers, terrains vagues, morceaux de ville… chaque tableautin est le témoin d’un regard posé sur l’ordinaire urbain, ses menus événements, les enchevêtrements qu’il fabrique pour ralentir l’attention comme traverser une friche ou des branchages ralenti le pas. On y reconnait quelque chose d’un mouvement mélancolique qui se fait en soi à considérer le développement des activités humaines en regard de l’espace dont il constitue une sorte de tremblement, de frisson. Presque seulement la main passe, effleure, prend connaissance à sa façon des reliefs.
Quelque chose est au bord de s’énoncer, mais las, renonce. Nulle leçon, nulle grande phrase ni sentence. Aucune vérité, sinon celle qu’on reconnait dans un hochement de tête, la peau que l’on fronce au front pour dire « vois », comme Nietzsche disait « ecce homo ».
Le paysage classique a sa définition. Les choses du monde y sont réparties harmonieusement. Ses vallonnements mettent les actions des hommes dans la perspective de l’étendue qui bleuit les lointains. Ceux dont témoigne Paul Vergier sont plus chaotiques, plus bancales, moins éloquents. A la fois sommaires et compliqués. Ils nous laissent comme l’on serait à tenter de donner une définition valable de la vie, alors que ses aspects nous en donnent une image compliquée, pleine de causalités et de ramifications au milieu même de la simplicité, de l’évidence par lesquelles elle se donne à nous.
Tendres je ne dirais pas, ni pathétiques. Ni porteurs d’aucune critique sociologique ou esthétique. Pourtant neutre simplement ne suffirait pas. On pourrait leur trouver mille précédents ou compagnonnages chez Thomas Jones, Corot, Morandi, Maurice Utrillo, Goldstain ou Boisrond, Pomié, Raphaëlle Paupert-Born, Jean-Philippe Delhomme, Vincent Bioulès. Mais aussi Charles Sheeler ou Hopper outre Atlantique. Et combien d’autres dont personne ou presque n’aura noté le nom.
Dans leur apparente objectivité ils trahissent quelque chose d’un état d’âme qui pourrait les rapprocher des romantiques et autre chose encore qu’il me semble avoir rencontré déjà dans certains plans du cinéma d’Antonioni. Ce monde qu’ils regardent et le regard qu’ils posent dessus, en même temps que le familier, attrapent le vertige de ces choses que l’on considère à distance, qui n’existent que dans cet espace impalpable des images. Il a la consistance de ces films hantés par la conscience de ce que tout ce qui se fixe, même fugacement, dans le mouvement de nos vies affectives produit dans nos fibres une forme de deuil ou de vestige. Les regardant, nous nous regardons passer. Nous regardons la solitude et le silence dans lesquels les images se forment. Nous regardons ces moments passés au seuil du langage. Ce sentiment de grâce ou de puissante liberté qui se fait quand nous oublions à peu près tout et flottons dans notre regard comme dans nos gestes dans la manière dont se font furtivement des petits poèmes.

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