un peu de soi dans l’image

Une partie de nos recherches, de nos réflexions et de nos explorations échappe aux formes traditionnelles du savoir savant, au texte, à l’article, au livre ou à la conférence pour éclore dans l’anodin d’une conversation, d’une boutade lancée l’air de rien, un mot griffonné sur un mur, un blog et nos façons de sinuer dans l’existence, apparence comprise. Donner à voir sur les réseaux sociaux la pièce de travail et ses équipements, choisir une photo de profil puis une autre participent à voix basse de réflexions sur l’atelier et la figure de l’auteur ou de l’artiste et comment joue la représentation dans nos représentations. « Image du corps, projection de son corps comme image », dit François Bon.
C’est sans emphase, comme l’air de rien et avec une légèreté apparente dont on joue non sans malice que l’on lance à la discussion des interrogations d’importance qui nous sollicitent ou nous embarrassent. Il y a souvent dans ce que l’on dépose sans mots, livré au brassage, une part de désarroi.
C’est comme ça pour ma part que dernièrement je prenais en photo un tableau en cours sur le mur de l’atelier figurant un récif ou une petite ile isolée dans le bleu et le postait sur ma page facebook accompagné d’une question : A partir de quand peut-on dire autoportrait ? -Une blague ? C’est ce qu’était aussi l’urinoir de Duchamp. « Aller au couteau dans la ville des idées dominantes, des idées moles » dit François Bon. On sait trop que chaque geste, même ou surtout le plus ordinaire nous engage.
Et moi ma question comme une blague donc, soumise à l’appréhension de chacun. Faut-il se figurer soi par cette partie tronquée du corps pour qu’il y ait autoportrait ? Sous-entendu que la définition plate nous indiffère dans ce qu’elle croit atteindre et rassurer. Et les réponses comme badines dans les commentaires facebook : le copain Yann de répondre tout à trac mais questionnant encore : « à partir de quand on te reconnaît ? », poursuivant alors que je le blague sur l’état inachevé de la chose, le bout de rocher : « peut-être qu’on te reconnaît quand même ». Aussi contenu quand Marc Léonard poursuit : « ou miroir ». A partir de quand le tableau que l’on fait peut-être considéré comme un miroir ? Alors, autre moment anodin, sur le chemin qui menait vers la rive du lac on en venait à se demander avec Jean Dytar si à l’inverse de la définition ordinaire il était des créations qui échappaient à relever de l’autoportrait, au moins de l’autoportrait en négatif et involontaire. Florence Dussuyer qui m’avait écrit « ce qui nous fait face et nous relie profondément par reconnaissance », et qui était avec nous, m’avait parlé après le restaurant alors que l’on traversait la ville par ses ruelles d’un livre qu’elle lisait et dont elle devait le soir m’envoyer deux pages par messenger (il y aurait à dire sur l’intrusion des images via mms dans nos échanges écrits). Dans le récit biblique Yahvé s’adresse à Moïse : « mais tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peux me voir et vivre. Voici une place près de moi, tu te tiendras sur le rocher. Quand passera ma gloire je te mettrais dans la fente du rocher et je te couvrirais de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Puis j’écarterais ma main et tu verras mon dos. Mais ma face on ne peut la voir. » Sans doute l’avais-je, ma face, moi aussi enfoncée dans le rocher comme le regard s’enfoui dans ce que l’on regarde et se mêle sans doute à ce regard sans visage qui dans certaines choses, en certains moments, nous regarde en retour.
Enfin, cette réponse de François Bon à celle-là qui se disait déçue de le voir changer de photo de profil aussi souvent qu’un adolescent, je ne peux faire l’économie de la retourner sur moi pour ma tendance inverse à me faire discret, me mettre physiquement hors de la scène alors même que je m’y engage. Cette aversion pour le geste de retourner l’objectif vers moi pour me laisser hors champ ou inscrit seulement dans le regard qui informe mes images. Alors même que chaque texte, chaque tableau que je partage dévoile quelque chose de l’intime et met à nu plus que ne le fait un portrait dans le jeu social qui sous-tend l’exercice. Peut-être est-ce ça : la même gêne que j’ai à regarder un selfie, autoportrait photographique dans sa mise en scène, qu’à un acteur sur scène ou à un performer en action. Pour la vulnérabilité à laquelle il s’expose quand moi j’ai choisi un art du retrait qui existe à distance et indépendamment de moi, de mon corps.
Pourtant, le tableau faisant autoportrait, quelque chose qui s’avance comme un cap dans le vide.

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