2014 – Jérémy Liron : le livre l’immeuble le tableau, par Sabine Huynhin Presque dire.

Je trouve en exergue au texte de Jérémy Liron cette belle citation de R. M. Rilke : « Combien ce qui nous arrive est d’un seul tenant, combien chaque chose est liée à l’autre et s’engendre, et grandit et se forme d’elle-même. Il nous arrive de reposer dans ce réseau de forces et d’influences où les étoiles se sentent en sécurité ». J’aimerais qu’elle soit ma réponse à la note qu’il a écrite sur mon livre Avec vous ce jour-là / lettre au poète Allen Ginsberg (Recours au poème éditeurs, 2014). Aujourd’hui je me dis qu’il est temps de reprendre les quelques phrases gribouillées dans un vieux carnet sur son livre Le livre l’immeuble le tableau, qui m’avait intriguée à l’époque, à cause de ce qu’avait dit François Bon sur son travail. Ce journal du regard, journal d’un artiste, réflexions sur des travaux alors en cours, sur son expérience de peintre pour qui « la silhouette parfois d’un sapin sombre ou d’un épicéa évoque instinctivement L’Île aux morts de Böcklin » : comme j’avais aimé cette phrase, moi qui voue une passion pour L’Île des morts depuis la découverte au lycée du poème symphonique composé par Rachmaninov. Le texte de Liron est mû par une passion évidente pour les paysages qu’offrent les villes et leur périphérie, les artères qui traversent et joignent les lieux, les immeubles d’habitation. Pour avoir grandi et passé un grand nombre d’années en banlieue, j’ai toujours associé la périphérie à la marge, aux terrains de vague à l’âme, à un sentiment de honte, de tristesse, de lourdeur. Le regard de Jérémy Liron, en la mettant au centre de ses préoccupations artistiques, me l’a poétisée, me l’a remplie de force et d’humanité. J’ai toujours su qu’elle était complexe et emmêlée, je l’ai connue comme contexte de drames terribles, d’où mon dégoût, sans doute, mon rejet, ma peur d’y retourner, mais Liron me l’a rendue lyrique. De morte à mes yeux elle m’est apparue comme pleine de vie, de paradoxes, reflet de ceux qui la traversent ; « comme des images de nous enfin rassemblées ». Sereine, Liron la voit, alors que je l’ai vécue comme violente, et comme absence, alors que lui y sent « un insistant sentiment de présence ». Il l’explore avec attention, profondeur, euphorie même, et cette crainte qu’il ne pourra jamais en donner une image totale (ce que j’appelle le presque dire). Il la peint aussi bien qu’il l’écrit (et je vous redirige vers son dernier livre, Récits de paysages, publié aux éditions Nuit Myrtide, auquel j’ai participé. J’espère pouvoir voler du temps pour en dire quelques mots bientôt).