2017 – Le paysage en question, par Gilles Altieri Extrait du texte du catalogue édité à l’occasion de l’exposition au Centre d’Art de Châteauvert.

« (…)Jérémy Liron, à l’instar de Koen van den Broek, travaille d’après photographies. Celles-ci ne constituent en aucun cas un carcan susceptible de restreindre sa créativité; elles jouent le rôle du carnet de croquis d’antan et permettent au peintre de prendre des images à la volée en toutes circonstances, aussi bien par la vitre d’un train qu’à travers ses déambulations urbaines. De ces instantanés naissent des vues d’immeubles d’habitation et de pavillons généralement banals, sur lesquels l’artiste n’exerce aucune critique sociale; ils sont simplement là, tels que nous les voyons autour de nous et dans lesquels nous vivons. Dépourvus de goute présence humaine, ses paysages urbains mettent en valeur l’architecture moderniste en conférant à celle-ci une véritable valeur plastique.
Ils m’évoquent curieusement une série de vues que Sophie Ristelhueber avait prises de paysages varois en dehors de la saison estivale, exposées à l’Hôtel des Arts à Toulon. J’y retrouve la même lumière et le bleu froid du ciel hivernal; un bleu tirant vers le vert, sur lequel se découpait la silhouette noire de pins parasols dressés contre les façades d’immeubles anonymes. Lorsque l’exposition a été présentée en l’an 2000, Jérémy Liron avait vingt ans et devait encore étudier à l’école des Beaux arts de la ville. S’il l’a vue, le climat mélancolique qui s’en dégageait a pu marquer son jeune esprit.
S’il privilégie les bâtiments de notre quotidien, Jérémy Liron n’hésite pas à s’intéresser à des pièces iconiques de l’architecture moderne telle la Cité radieuse de Le Corbusier à Marseille ou la Villa Malaparte à Capri; mais dans tous les cas, il n’adopte jamais une attitude platement révérencieuse à l’égard du sujet photographié et s’accorde la plus grande liberté d’interprétation, supprimant tel détail, déplaçant tel autre, introduisant un élément d’une autre photographie ou modifiant les couleurs. Avec humour, il n’hésite pas non plus à citer subrepticement d’autres artistes qu’il admire tels Sean Scully ou Per Kirkeby.
Notons également que dans son travail, le traitement des feuillages et des ombres peut varier. Il peut ainsi procéder soit par larges coups de brosses énergiques et gestuels, ou, dans ses travaux plus récents, par aplats et par stylisation de leurs contours, comme on peut le voir dans les perspectives réalisées par les bureaux d’architectes. En effet, si pendant plusieurs années certaines parties des tableaux de Jérémy Liron restaient en friche, dans un état d’inachèvement qui laissait visibles les coulures de peinture et autres accidents inhérents à un travail exécuté dans le mouvement et l’urgence, aujourd’hui il semble que Jérémy Liron ait opté pour une conception plus pythagoricienne dans ses compositions et pour une exécution plus contrôlée.
Mais s’il fait preuve d’une grande habileté technique, Jérémy Liron ne verse jamais dans l’académisme et la peinture conserve tous ses droits. En présentant ses tableaux entourés d’un cadre épais et sous plexiglas, il aime à instaurer avec le spectateur une distance supplémentaire puisque celui-ci les contemple à travers une vitre qui leur enlève une part de leur corporalité. (…) »