Jeremy Liron, Marginalia, par Guillaume Benoît in Slash, juin 2022.

La galerie Isabelle Gounod présente jusqu’au 18 juin Marginalia, une exposition sensible et passionnante de Jérémy Liron qui manie avec dextérité les contrastes pour inventer, dans la douleur, une chaleur paradoxale.
La prolifération de cadres et la multitude d’images installent dans le calme éthéré de ses paysages, un sentiment d’urgence, ce délicieux paradoxe du choix de l’artiste en quête de la synthèse de son œuvre bien forcé de reconnaître la nécessité de la multiplication des essais, bien conscient de la nature (per)formatrice des tentatives. Un paradoxe en écho aux mots de Liron qui accompagnent cette présentation, évoquant sa confrontation au support comme le reflet répété d’Elvis fabriqué par Andy Warhol, entre le duel et la pose face au miroir.

À ce jeu de la gravité, Jérémy Liron se plie de tout son corps et les ébauches, les études et les compositions offrent un premier pan de l’exposition peuplé de vues, de mémoires de Palmyre entamées alors que sa destruction méthodique démarrait derrière les ouvertures aveugles de polygones. Réduites à leur seule silhouette, leurs obliques creusent dans les cadres des ouvertures qui, par leur pure invention artificielle, semblent appeler à l’imaginaire dans ce contexte où le réel se fait plus cruel encore que l’imaginaire dégénéré. Le passe-partout qui recouvre la feuille devient la clé pour entrevoir la figure d’un sujet dont l’existence même est un défi à l’idéologie destructrice, un pari lancé à la raison, ce fragment d’histoire tient-il encore debout ou a-t-il été détruit ? Méthodique et appliqué, le geste de l’artiste impose, dans le respect de son sujet autant que la fidélité à son projet, une forme de résistance sourde qui aura résonné jusque-là dans le silence de son atelier pour mieux s’étendre aujourd’hui dans sa brutalité, jusqu’au pied même des cimaises qui lui servent de piliers.
En vis-à-vis, les détails de structures empruntées aux sculptures d’Anthony Caro substituent à l’ambition abstraite apparente, à la raideur moderniste une vivace chaleur organique. Un jeu trouble cette fois qui magnifie, en les amputant, des structures absconses qui voient dans cette découpe une reformation de leurs membres par l’absurde. En les tranchant, Liron donne vie aux organes de ces sujets et les baigne d’une chaleur impossible, poussant encore sa logique du paradoxe dans ces éléments taciturnes et vibrionnants.

Tendre un miroir au monde devant chaque paysage a vite fait de devenir, dans les panoramas qui suivent, tendre tous les miroirs du monde au paysage, d’infuser dans l’image la complexité politique, la charge historique d’espaces géographiques qui ne peuvent plus se lire comme échappatoires à l’imaginaire. Au contraire, ceux-là deviennent les points magnétiques au sein desquels tournoient les flux capables de raccrocher l’imaginaire à ce qui l’engendre, au sein desquels en dernier lieu le rêve trouve toute sa réalité, sa raison d’être, infiniment ancré dans le vrai.
Dans Marginalia, chaque lieu, chaque point de vue devient ainsi sous le pinceau de Jérémy Liron une tentative d’invention de connexion du lieu et du temps, une possibilité d’ancrer le présent et l’imaginaire. Une preuve que jamais, pour finir, comme le corps ne s’est disjoint de l’esprit, le rêve n’a semé l’histoire.