2012 – Les 101 meilleurs artistes contemporains en France, sélection 2002-2012, par Alexandra Fau in Art Absolument.

Inspirées de prises de vue photographiques au travers de la vitre d’un train de banlieue, les peintures de Jérémy Liron tentent de fixer une présence dans le mouvement même de son échappée. Ses œuvres ouvrent sur l’illusion de l’espace perceptif sans pour autant renoncer à la matérialité de la peinture. Elles concilient en effet une synthèse troublante entre la fenêtre ouverte sur le réel et les effets de surfaces « lourdement décoratives, puissamment coloriées et cernées d’un trait brutal » dont parlait le peintre nabi Maurice Denis. Cette fenêtre ouverte sur le monde, que certains artistes tels Henri Matisse (Porte-fenêtre à Collioure, 1914) puis Marcel Duchamp (Fresh Widow, 1920-1964) ont volontiers obturée, se voit ici rouverte sur une architecture moderniste. Le choix n’est pas innocent. Dans certains tableaux, la masse informe du végétal semble gangrener le bâti, anticipant ainsi le devenir de la pensée moderniste. Placés derrière un écran en plexiglas, les paysages peints à l’huile appartiennent désormais à l’espace fictionnel. L’artiste se dessaisit ainsi du réel pour mieux s’approprier un état intermédiaire et transitoire. Les œuvres grands formats semblent engluées dans un temps figé tandis que les petits tableaux, semblables à des études préparatoires, reflètent la vivacité de l’exécution instantanée. Or, le présent dont l’artiste tente de rendre compte n’est ni l’instant pur, ni la durée mais l’intervalle de temps. Marqué par le tableau inachevé Les Passants d’Honoré Daumier, Jérémy Liron tente de retranscrire à sa manière la captation du réel dans son mouvement. Dans cette œuvre, datée de 1860, un mouvement est impulsé aux corps à peine ébauchés. La modulation des bruns et des bistres de la palette accentue le va-et-vient de la foule. Dans la peinture de Jérémy Liron, l’effet transitoire s’exprime à travers les motifs esquissés rapidement, les dégoulinures venues maculer la toile laissée en réserve. La surface du tableau n’ignore donc pas les aléas de la gestuelle. Ce sont même parfois les défauts d’encrages de ses impressions numériques qui le guident dans le choix de sa palette. Pour autant, sa démarche laisse transparaître une grande rigueur. Depuis 2004, chaque peinture de paysage est scrupuleusement numérotée. Le chiffre ne permet pas de situer l’œuvre dans le temps mais de contribuer davantage à l’anonymat du site indexé par l’artiste. Ses images rappellent également la précision des photographies du couple allemand Bernd et Hilla Bécher dont il reprend les procédés d’égalisation par la lumière. Ses architectures se détachent depuis quelques années sur des cieux d’un bleu azuréen venus faire oublier la tristesse de ces banlieues délaissées. Dans son œuvre, Jérémy Liron cherche à conjuguer plusieurs gestes en peinture. Il mêle tout à la fois l’objectivité et le réalisme photographique au flux informel de la couleur.