2012 – L’inquiétude en absence de récit, par Michel Brièrein L’âme de l’art.

Vous connaissez Le Patio à deux pas de l’Opéra Garnier ? Depuis le début de l’année, des expositions y complètent l’activité du bar-restaurant. Dans le Studio, au 1er étage, 200 m2, et dans l’Abri, 100 m2de caves voûtées. Les expositions y tournent vite – une dizaine de jours : jusqu’à la fin de la semaine, y est exposé le travail de Jeremy Liron intitulé : Le récit absent par Art Collector. C’est un concept inédit de promotion des artistes français grâce à leurs collectionneurs. Portée par un couple, Evelyne et Jacques Deret, l’initiative cherche à faire connaître et à promouvoir un jeune artiste français, en même temps que sa galerie présente son travail le plus récent. Ainsi la galerie Isabelle Gounod, sous le titre L’Inquiétude propose, mais jusqu’au 27 octobre, d’expérimenter la peinture de Jérémy Liron. Et c’est une expérience riche et vraie !
Le première approche peut déconcerter, voire rebuter. Les tableaux semblent répertorier ce que l’architecture du siècle dernier à produit de plus froid : béton blanc et baies vitrées découpant l’espace en portions orthogonales. Pas âme qui vive dans les tableaux de Jérémy Liron. Et voilà qu’en plus chaque toile est protégée par une vitre ou un plexiglas qui recycle soigneusement en reflets gênants les néons de la galerie. Tiré de ma quiétude de spectateur, un rien agacé, je recherche un bon « point de vue »…
Pourtant, je continue de regarder : un tableau n’est pas une pub. Il sollicite ma participation, patiente et attentive. Le polyptyque que j’observe, Paysage 110, est composé de six toiles carrées, chacune d’1,23 x 1,23m, encadrée sous plexi. L’œuvre elle-même ressemble à une large baie vitrée. Et c’est justement ce qu’elle représente : l’intérieur d’une pièce donnant sur un balcon ensoleillé laissant apparaître le faîte d’un gros arbre qui occulte un bout de ciel bleu uniforme. Le reflet de l’espace de béton blanc dans lequel je me trouve, la galerie, se superpose à la peinture ou bien s’y mêle comme un filigrane. Je ne suis plus devant une œuvre d’art mais dedans. D’habitude on appelle ça une installation. Superbe !
Depuis le De Pictura de Léon Battista Alberti paru à Florence en 1435 la peinture occidentale s’est comprise comme une fenêtre ouverte sur le monde et son histoire. Mais depuis ses origines elle cherche à composer avec ceux qui la contemplent par divers procédés. Les œuvres les plus abouties associent physiquement les images mentales du regardeur à la production d’images gorgées de sens pour leur époque puis au-delà, pour chacun. Le Paysage 110 de Jérémy Liron me ramène à ma solitude et à ma vision fragmentaire d’un monde où tout est devenu pluriel et spécialisé : les cultures, les publics, etc. L’absence d’un récit commun y suscite l’inquiétude. Et moi qui regarde, qu’est-ce qui fait mon unité ?

Dieu merci, dans le monde, nous ne sommes pas du monde (Evangile selon saint Jean.17,6.14-16). Et nous connaissons le récit qui fait notre unité.