2018 – Jérémy Liron, mal finit la ville, le mal début des champs, entretien de Charlotte Guy, pour Archistorm.
Cinq artistes répondent par différents médiums et réalisent une exposition interrogeant l’horizon et les cloisons : Sébastien Faure, Rémy Jacquier, Frédéric Khodja, Mengzhi Zheng et Jérémy Liron.
L’érotique de l’architecture, cela à avoir avec la sensation, au sens de » sensuel » et donc avec le corps ?
JL : Effectivement, lorsqu’il a été question d’accompagner l’exposition par une publication collective, j’ai pensé à ce texte comme un souvenir ou un retour sur les sensations physiques du rapport à l’architecture. A la fois mon propre corps confronté à des espaces, des volumes, des fermés et des ouverts, des intérieurs et des extérieurs et aussi l’architecture comme corps. Avec cette sensation de quelque chose qui échappe parce que ça ne se laisse pas embrasser ou incorporer ou assimiler. On ne fait que fréquenter, longer, parcourir, s’affronter à…
Dans la préface, il est question d’horizon. Cela peut aussi être une frontière. C’est ce qui vient à l’esprit quant » s’affronter à… » il y aurait une ligne de front. Où se trouve-t-elle dans l’architecture… ?
J.L. : La préface évoque la genèse de l’exposition autour de cette phrase de Sébastien Faure qui articule ces lignes verticales et horizontales, ces plans, ces manières de faire espace dans le clos et dans l’ouvert que disent » horizon » et » cloisons « . Ma peinture s’architecture par ces articulations. Parce que je joue entre autres plus que fréquemment à la fois de l’illusion perspective de la fenêtre albertienne et de l’accusation du tableau comme surface. La perspective est souvent faussée, gauchie et il n’est pas rare que certains plans, certaines surfaces basculent. La matière picturale elle-même accuse la surface par la coulure.
Très concrètement, le tableau central est inspiré par un plan du Mépris de Godard où l’on voit le toit-terrasse de la villa Malaparte, à Capri. Un cadre noir dans le cadre cite de manière littérale le format cinéma. Il s’agit donc de l’image d’une image. Et si le dessin respecte une perspective presque centrée, le traitement radical des surfaces (sol et ciel) plaque verticalement ces grands champs colorés qui ouvrent alors un écho vers les toiles de Rothko par exemple. Si on observe le tableau gris qui prend pour motif une cheminée et le couloir qui mène au pédiluve de la cité radieuse, on se rend compte qu’il y a des incohérences au niveau des lumières. Elles sont motivées par un jeu d’enchâssement de formes (l’angle noir du module de la crèche est repris en ton clair, agrandi dans le tableau). On s’aperçoit à toute sorte de détails semblables que les tableaux ne sont jamais strictement documentaires, ce sont des constructions brassées par des échos narratifs, historiques, bref tout un champ culturel et quelque chose de plus phénoménologique qui témoigne d’un rapport physique, de l’aptique.
On en revient à la lumière, et pour citer Le Corbusier : L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière.
J.L. : … Et ce désir alors, que confessait Hopper de » peindre la lumière du soleil sur un mur ».