La peinture de Jérémy Liron est presque entièrement centrée sur le paysage, sur le thème du paysage, sur le genre paysage, sur l’image du paysage. Thème, genre, image… ces trois termes ne définissent pas la même chose.
On pourrait entendre le thème comme une idée sous-jacente, le sujet même qui serait à l’œuvre et qui serait soumis à maintes variations — au sens musical du terme. Le genre renvoie, bien sûr, à l’histoire de ses représentations dans la peinture — toute peinture se construisant dans la mémoire que l’on a de celles qui nous précèdent. L’image suppose un double qu’elle reconduirait ou transmettrait et la peinture de Jérémy Liron semble la produire — une image en peinture —, d’autant plus qu’elle s’établit chez lui à partir de photographies et non des paysages peints sur le motif. Ces trois éléments se trament, se mélangent, s’hybrident, s’interpénètrent dans ses peintures.
Le paysage n’est parfois qu’un thème, qui fait écho, puis qui devient une image, puis perd cette qualité dans les gestes picturaux qui prennent le dessus sur elle, l’abstractisent, la rendent étrange. Ainsi, une cactée devient un motif ornemental. Le bleu du ciel s’impose dans sa planéité. Un mur vient rompre avec la profondeur de l’espace. Des troncs d’arbres fournissent un motif décoratif aberrant. Les architectures se transforment en découpes géométriques… Les paysages bien que tirés du réel à partir d’une documentation photographique, rappellent immédiatement celui-ci puis le font s’évanouir, le mettent à distance, le rendent factice — mais avons-nous jamais cru, devant une peinture de paysage, être devant le réel ?
Ainsi, la peinture de Jérémy Liron est la destruction-recréation du paysage par la peinture. Par paysage, j’entends le paysage réel qui a déjà été mis à distance par la photographie qui en a été prise, mais qui évoque, biographiquement pour l’artiste, le paysage — les paysages — qu’il a pu voir, le paysage-souvenir qui est, également, un paysage-affect. Ce paysage-affect, jamais Jérémy Liron ne pourra le transmettre — car il n’appartient qu’à lui —, mais il est le moteur, l’élément déclencheur, celui qu’il tente, à l’instar du narrateur d’À la recherche du temps perdu, « de faire entrer dans sa lumière ». La peinture réalise cette recréation, combinant, à la fois, le paysage et l’affect qu’il déclenche, dans un être autre qui n’existe que dans la peinture. Il ne s’agit pas de mémoire involontaire mais d’une entreprise conceptuelle qui vise à affecter le réel par son affect, l’image par la peinture.
Le tableau est un arrêt sur image par la peinture ou un arrêt de l’image par la peinture où celle-ci provoque l’arrêt, une stupeur possible par ce qui est en son cadre : ces fragments subtilisés et transformés d’un réel improbable mais qui nous paraît, cependant, familier. À l’instar des cadrages de Michelangelo Antonioni dans sa trilogie (L’Avventura, La Notte, L’Éclipse) où la narration se délite dans ce que Jérémy Liron nomme des « stances », les tableaux de Jérémy Liron font apparaître ces fragments hors de l’habitude que nous avons de leur apparence, dans leur caractère singulier, dans l’idiotie — du grec ἴδιος — qui, selon Clément Rosset, n’a « ni reflet ni double », n’existe qu’en lui-même.
*le titre de l’exposition est emprunté à André Breton : « Et c’est assez, pour l’instant, qu’une si jolie ombre danse au bord de la fenêtre par laquelle je vais recommencer chaque jour à me jeter. » (Une confession dédaigneuse in Les pas perdus)