L’exposition Déployer l’instant/parcourir la mémoire de Jérémy Liron propose plusieurs séries picturales évoquant les notions de paysage, d’architecture et de mémoire. La luminosité des constructions balnéaires dialoguent ici avec les tons sombres des images de mémoire.
Déployer l’instant/parcourir la mémoire : le titre donné par Jérémy Liron à son exposition à l’Artothèque, Espace d’art contemporain résonne comme une invitation. Invitation à s’octroyer le temps nécessaire à la contemplation et à la découverte de ses œuvres, invitation à faire ressurgir et à réactiver les images enfouies en chacun de nous. Peintre, Jérémy Liron l’est assurément, le tableau devient pour lui l’espace privilégié de la représentation de paysages urbains, souvent marqués par la présence d’architectures modernistes. Seuls ou assemblés en polyptiques, ses Paysages, seulement identifiés par un numéro attribué chronologiquement, sont comme mis à distance par le plexiglas qui les protège. Si, comme l’a énoncé Léon Battista Alberti « la peinture est une fenêtre ouverte sur le monde », ici, le dispositif tend à redoubler cette métaphore, les verticales et les horizontales des encadrements évoquant les montants et les châssis des fenêtres.

« J’aime l’autorité du noir. C’est une couleur qui ne transige pas. Quand la lumière s’y reflète, il la transforme, la transmute. Il ouvre un champ mental qui lui est propre ». Cette citation de Pierre Soulages s’impose devant la série des grandes acryliques sur papier, regroupées sous le titre générique d’« images inquiètes ». si la monochromie ténébreuse de ces œuvres récentes contraste avec les couleurs des Paysages, cet ensemble n’est nullement exempt d’une sourde luminosité qui laisse entrevoir ici des détails d’architecture, là des éléments végétaux.

Initiée en 2010, la série Tentative d’épuisement d’un souvenir donne à voir un même et identique paysage urbain, une banale façade d’immeuble cadrée en légère contre-plongée. Inlassablement, avec une obsessionnelle régularité, l’artiste décline ce paysage, se basant sur le souvenir qu’il conserve de la photographie initiale, point de départ de la représentation. D’une œuvre à l’autre, des différences se font jour : légers décalages dans le cadrage et dans les détails du bâtiment, variations chromatiques dans les ciels et dans l’arbre figurant au premier plan, luminosité changeante… On pense naturellement à la série des Cathédrales de Rouen de Claude Monet : même façon d’éprouver le sujet représenté, d’épuiser le paysage…

A l’occasion du 70e anniversaire du débarquement, l’Artothèque a invité Jérémy Liron à s’interroger sur la présence physique et mémorielle que les constructions de guerre ont laissée sur le littoral bas-normand. Ainsi, la sculpture Sans titre reprend, à l’échelle d’une maquette, l’architecture d’un blockhaus, la fenêtre de tir invitant le spectateur à observer ses peintures avec la contrainte d’un champ de vision limité. Dans la seconde salle, les encres sombres de la série La plage dialoguent avec L’image, vidéo réalisée en mai dernier sur les plages du débarquement de Normandie.

Patrick Roussel