C’est la vie ! par Marie-Agnès Charpin, commissaire de l’exposition au Cloître Art Contemporain, Lyon.

Lorsque nous venons au monde, nous poussons notre premier cri et quand nous le quittons c’est celui du dernier souffle. Entre le temps où tout commence et celui où tout s’achève, entre le début et la fin, entre la première et la dernière heure, que se passe-t-il ? Il y a la trame de l’existence de l’être et des choses. Celle qui constitue notre champ personnel de l’histoire où chaque instant qui passe nous rapproche inéluctablement de cette fatalité qui est notre destinée. C’est ainsi, c’est la vie ! Puisque ce destin est notre avenir inévitable, nous conviendrons que la relation que nous entretenons avec le monde définit la matière existentielle en même temps que son orientation temporelle.
Nous avons un rapport au monde tout à fait spécifique parce que nous percevons notre existence selon les trois dimensions du temps : remémoration du passé, attention au présent et attente de l’avenir. Exister prend un sens particulier car le temps est ressenti, vécu et éprouvé. Selon Proust, nous sommes un bloc friable « temps vivant vécu ». Il s’agit d’accepter la puissance du caractère éphémère que nous sommes et de profiter de ce laps de temps pour construire nos paysages, multiplier les souvenirs, atteindre tous les horizons possibles et conter notre propre récit avec tout ce qu’il comporte d’essentiel.
C’est la vie, c’est avant tout s’interroger sur la multitude des rapports que nous entretenons avec l’environnement tangible qu’il soit urbain ou naturel. Poser le regard ! Observer, contempler, capter, appréhender, s’approprier, saisir l’insaisissable, montrer l’invisible, toucher le sensible, donner à voir ce qui nous retient, ce qui s’offre à soi… Voyons-nous ce que nous regardons ? Regardons-nous vraiment ce qu’il faut voir ? Sans nul doute, ce sont les questions que se posent Jérémy Liron et Frédéric Khodja pour représenter une certaine réalité du monde dans leurs œuvres. En rose et bleu pour la série « Rose and blue » de F. Khodja et selon une palette choisie et un cadrage précisément composé pour les tableaux titrés « paysages » de J. Liron.
Dans chacune des œuvres de ces artistes, la maîtrise de la peinture et la faculté d’analyser le réel sont de rigueur. Celles-ci démontrent une retranscription personnelle ainsi qu’une perception singulière du paysage. Elles sont une quête permanente d’une lecture du monde, mais pas seulement, de la vie aussi. Elles constituent indéniablement l’héritage romantique et artistique des deux protagonistes où l’environnement comme l’espace-temps sont l’essence même.
« Voir la nature accessoirement comme une réalité qui va de soi et dont il faut tirer parti le plus possible » selon Rainer Maria Rilke, Essais sur l’art dans Œuvres. Baignés par cette évidence, il s’agit pour Jérémy Liron et Frédéric Khodja de voir le monde autrement. Par conséquent, leurs œuvres ne sont pas une simple appropriation du réel. Toutes sont issues d’une observation de ce qui s’impose au regard et de ce qui investit la sphère dans laquelle nous sommes. Elles font l’objet d’une interprétation des différents champs possibles, réflexifs et perceptifs du paysage. Ce sont des fenêtres avec vue sur l’intérieur et l’extérieur, des écrans renouvelés, toujours en mouvement qui mettent en exergue l’impermanence de l’instant, de la mémoire du sujet, et somme toute, du caractère temporaire et fragile de l’existence. Alors n’oublions pas que « c’est la vie, hélas ! Tout change et rien ne dure » – Auguste Lacaussade, La vierge des pamplemousses, 1867.